Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

AIMONS-NOUS COMME LE CHRIST L’ATTEND DE NOUS ?

Lectio divina pour le 23e dimanche du temps ordinaire

Dans ce 23° dimanche ordinaire, nous recevons une terrible leçon d’humilité de la part du livre de la Sagesse. Son auteur en effet reconnaît la difficulté que l’homme a, non seulement à connaître la pensée de Dieu, mais même à régir sa vie d’homme selon la justice, selon la justesse, selon -suivant une autre expression du même livre- le sens des choses, c’est-à-dire leur réalité profonde. Ne devrions-nous pas faire nôtre cette réflexion et reconnaître, que non seulement nous avons du mal à vivre en cohérence avec l’Évangile -c’est-à-dire dans cette tension habituelle du cœur vers Dieu- mais que nous avons aussi du mal au niveau de notre simple humanité, de l’éthique, à vivre notre vie d’homme ?

« Donne nous un cœur qui écoute… »

Regardons autour de nous : les conflits, les guerres – entre communautés nationales, entre partis politiques, entre cités : regardons au niveau des familles: la multiplication malheureuse des séparations… Nous ne portons pas de jugement, mais nous devons constater, face à ces réalités douloureusement fréquentes, qu’il y a en l’homme non seulement une difficulté à vivre l’amour de Dieu, mais aussi à vivre l’amour du prochain, l’amour du conjoint, l’amour de ses enfants, l’amour de son pays, l’amour du bien et du bien commun.

Alors nous dit l’auteur : « Tournons-nous vers la Sagesse pour être sauvés », cette Sagesse qui nous est envoyée par Dieu par l’Esprit Saint donné pour nous éclairer, pour nous révéler la Vérité toute entière, la Lumière de nos vies.

Ecoutons donc le Christ, puisque Saint Paul nous dit que c’est Lui la Sagesse : « Il a été fait Sagesse de Dieu, justification, salut, Rédemption. » Et c’est Lui qui nous a promis l’Esprit qui nous révèlerait toutes choses

Et que nous dit Jésus ? Il nous dit : « Celui qui préfère son père, sa mère, son frère, sa sœur à moi-même n’est pas digne d’être mon disciple ». Quelle horreur ! Voilà maintenant qu’il faut haïr pour aimer Dieu, parce que c’est bien cela que l’on devrait dire, si l’on traduisait littéralement « qui ne hait pas son père, sa mère, pour moi… » Voilà que celui qui aime sa famille ne peut être disciple de Jésus, et que celui qui veut être disciple de Jésus doit délaisser les siens ! Est-ce là la révélation de Dieu, de l’Esprit d’Amour pour nous éduquer dans la justice, dans la justesse de nos actes, de nos relations humaines ? C’est absolument fou ! Et cependant, nous nous plaisons quelquefois à en rester à ce niveau de raisonnement, lorsque nous ne voulons pas donner à Dieu ; nous nous réfugions derrière des légitimités qui sont en fait faussées…

« Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés… »

Croyons-nous vraiment, dans le fond de notre cœur, que nous pouvons mettre en contradiction Dieu et le monde qui a été créé par Lui, que nous pouvons mettre en contradiction la surnature et la nature, la charité, c’est-à-dire l’Amour de Dieu, et l’ordre du cœur, l’amour humain ? Prenons-nous vraiment cette phrase au sérieux ? Si nous pensons qu’il puisse avoir contradiction entre l’ordre de Dieu et l’ordre de la charité, si nous pouvons penser que pour adorer Dieu, il faille haïr le monde, dans quel système absurde entrons-nous ! Est-ce que Jésus d’ailleurs ne dit pas dans un autre passage de l’Evangile : « Aimez-vous les uns les autres, à ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres » ?

Alors, que faut-il penser ? Que veut dire Jésus ? Il veut nous dire tout simplement qu’il y a deux manières d’aimer. Il y a un amour qui est contraire à l’Evangile et, à l’opposé, il y a un amour, qui est la règle, le commandement de l’Alliance Nouvelle : « Je vous donne un commandement nouveau, aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Et d’ajouter : « A ceci, on reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous vous aimez les uns les autres », sous-entendu : comme Je vous ai aimés…

C’est clair !… L’amour peut être le premier principe évangélique comme il peut être son antithèse. Il ne suffit pas d’aimer pour être dans l’Evangile, mais pour être dans l’Evangile, il faut aimer. Selon quelles modalités ? Comme Je vous ai aimés, dit le Fils de Dieu. Et comment Dieu nous aime-t-Il donc ?

« Comme Je vous ai aimés… »

Infiniment. Dieu est infiniment parfait, tout ce qu’Il fait est infini, donc, Dieu nous aime infiniment. Ceci, nous avons de la facilité à le comprendre.

Il nous aime comme Lui-même. C’est déjà plus délicat à percevoir. Et pourtant la Croix qui trône et qui préside au-dessus de chaque Sacrifice est là pour nous dire que pour Dieu, l’homme égale Dieu puisqu’Il n’a pas hésité à sacrifier la vie du Fils pour adopter les fils que sont les hommes ! Oui, Dieu nous aime comme Lui-même !

Encore plus délicat : Dieu nous aime pour nous-mêmes. Son Amour pour nous ne Lui procure aucune gloire supplémentaire, aucun bonheur supplémentaire : Il nous aime pour notre bonheur. Nous sommes la fin de Son Amour. Il ne nous utilise pas. Alors qu’Il est notre créateur, et que donc nous sommes physiquement en dépendance vis-à-vis de Lui, Il respecte sa créature et sa liberté, c’est-à-dire le fait que nous sommes des personnes humaines. Il respecte cette dignité de la personne, Il respecte ce plan de la création qui veut que nul ne peut être asservi et utilisé par un autre. Voilà ce qui fait la caractéristique profonde de l’Amour de Dieu : Il m’aime pour mon bonheur, pour me rendre heureux, pas pour Lui. Il ne m’utilise pas, Son Amour est absolument gratuit.

« Recevez l’Esprit Saint »

Voilà donc comment il faut que nous aimions pour vivre l’évangile : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres, à ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples. » Et cela nous est possible puisqu’Il nous donne la charité, c’est-à-dire, Son propre Amour !

Lorsque nous recevons le baptême comme lorsque nous recevons le sacrement de la réconciliation nous recevons la charité. Nous n’y pensons pas toujours, voyant la confession comme une sorte de lavage juridique, un paiement de contravention… Mais nous y recevons, avec le Pardon divin, la charité divine ! C’est pourquoi nous disons que nous sommes en état de grâce ! Lorsque nous communions à l’Eucharistie, et que nous sommes en état de grâce, nous recevons encore un supplément de charité, c’est-à-dire cet Amour de Dieu qu’Il porte aux hommes, infiniment, comme à Lui-même et pour eux-mêmes.

« Donner sa vie pour ceux que l’on aime… »

Pourtant, nous n’utilisons pas toujours cette charité. Si nous faisons un bilan de notre vie intérieure, de notre vie d’homme, les rapports que nous avons avec nos amis, nos frères, notre mari, notre épouse, nos enfants, nous constatons malheureusement que nous utilisons les personnes. Nous les aimons mal, pour nous-même, au lieu de les aimer selon le mode évangélique… Nous n’aimons pas l’autre pour son bonheur à lui, pour sa joie, pour sa construction, pour son épanouissement. Nous l’aimons généralement pour notre bonheur à nous, pour notre plaisir, pour notre jouissance, pour notre contentement. Nous l’utilisons en fait, nous utilisons les membres de notre famille, nous utilisons nos amis, nous utilisons ceux de notre communauté de vie, ceux de notre paroisse… Nous ne sommes pas dans la charité, nous n’agissons pas pour le bien, pour le bonheur de ce prochain (qui, du coup, ne nous est pas proche en vérité), nous le faisons pour nous, pour la satisfaction de notre ego…

Il ne suffit pas d’aimer pour vivre l’Evangile

C’est ce que veut dire le Christ dans l’évangile de ce dimanche : « Celui qui préfère son père à moi-même, » c’est-à-dire qui préfère son père à Jésus, à ce qu’Il est et à l’Amour qu’Il porte à ce père, c’est-à-dire qui préfère son mauvais amour à lui, à la charité que Jésus porte à cette personne, « celui-ci n’est pas digne d’être mon disciple. »

L’amour, c’est à la fois simple et délicat. Il ne suffit pas d’aimer pour être dans l’Evangile, parce qu’on peut aimer égoïstement. Malheureusement, cela nous arrive plus souvent que nous le pensons : quand nous utilisons l’autre sous des couverts très légitimes et si subtils que nous finissons par nous persuader du contraire !

Allons, soyons honnêtes ! Est-ce que j’aime vraiment, comme Dieu aime, mon père, mon épouse, mon enfant, mes frères, ma ville, ma paroisse, le monde, cette communauté, ces gens qui souffrent, ce malade, ce blessé de la vie ? Dieu l’aime de cette manière-là : pour son bonheur à lui. Est-ce que moi aussi je l’aime de cette charité ou est-ce que je l’aime pour moi-même ? Nous retrouvons là, finalement, le sujet de la 2° lecture, l’Epître à Philémon : aimons-nous le prochain comme un esclave c’est-à-dire pour notre service, ou comme un frère c’est-à-dire pour son bien ?

C’est la question que le Christ nous pose. Nous devons avoir l’honnêteté d’y répondre en examinant notre conscience avec minutie et délicatesse chaque soir.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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