Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

Lectio divina pour le dimanche des Rameaux

LA FORCE DE L’AMOUR BANNIT L’AMOUR DE LA FORCE

Nous retrouvons, avec le dimanche des Rameaux, le paradoxe du triomphe du Christ rentrant à Jérusalem, ville sainte et royale, suivi aussitôt après du récit poignant de la Passion que nous venons d’entendre nous raconter in extenso l’échec abject de la Croix.

La Croix, trône de la gloire christique

Il ne faut pas entrer dans ce paradoxe, mais il faut essayer de percer le pourquoi de cette étrange proximité entre la gloire et la Croix pour ne pas repartir de cette célébration le cœur vide. Nous sentons déjà que ce paradoxe, nous le vivons nous-mêmes. Nous sommes à la fois pressés de venir à cette Liturgie traditionnelle des Rameaux, mais nous sommes aussi malheureusement, chacun à sa mesure, pressés de partir… Reconnaissons que nous sommes à la fois prêts à acclamer le Christ-Roi, et pressés de quitter le Golgotha, à la manière des Juifs qui parlaient de la pluie et du beau temps.

Nous ne devons pas nous mentir à nous-mêmes, mais devons essayer de voir ce que l’Eglise nous lance comme message au moment où nous rentrons dans la Grande Semaine, la Semaine du Monde, la Semaine où le Fils de Dieu livre Son Corps et Son Sang dans l’Institution de l’Eucharistie et du Sacerdoce, la Semaine où Il livre Son Corps et Son Sang sur la Croix et où Il ressuscite.

« Le Royaume de Dieu est là, au milieu de vous »

Il ne faut pas abuser de la bêtise des apôtres et des disciples, ni de celle des Juifs lorsque nous disons qu’ils n’avaient rien compris au triomphe de Jésus et pensaient à une restauration politique. C’est un moyen facile pour nous d’éluder le problème. Car le problème est là : comment se fait-il que nous tous, à la suite des Juifs, soyons prêts à acclamer le Christ-Roi rentrant dans cette Ville Sainte pour ensuite partir en débandade, les prêtres en premier comme firent tous ceux qui ont acclamé Jésus, Pierre et les apôtres en tête ?

Pour éviter notre remise en cause personnelle nous disons : ils n’avaient rien compris : comme Judas, ils voulaient faire du Christ un nouveau roi. Que nenni ! Les disciples ont bien saisi comme cette entrée triomphale du Christ à Jérusalem est la signification de la présence du Royaume de Dieu. Jésus est roi, comme le signifie le symbole de l’ânon, monture royale dans l’Ancien Testament, comme le montre aussi la couverture des manteaux pour épargner les pierres aux pieds de la bête, comme le signifie enfin l’acclamation avec les rameaux, signe d’action de grâce envers la miséricorde de Dieu. Et cette royauté humaine est élevée tout de suite, par cette foule de disciples, au niveau de la royauté spirituelle. Luc ne manque pas de rapporter qu’après les exclamations de l’hosanna, c’est la reprise quasiment identique de l’acclamation du salut de la Bonne Nouvelle entendue à Bethléem : « Gloire au ciel, Paix sur la terre ». Les disciples chanteraient cela pour un Messie politique ? Et la joie de cette foule de disciples qui est là, elle est bien causée par la présence de Jésus, de ce nabi, de ce Rabbi dont les signes, les miracles en même temps que la miséricorde, révèlent la présence du Royaume de Dieu. « Le Royaume de Dieu est là, au milieu de vous »

Et la preuve, c’est que Jésus, qui a toujours refusé les triomphes royaux, approuve lorsque les pharisiens, ne voulant pas reconnaître Sa royauté spirituelle et s’en tenant donc à une lecture politique, veulent faire taire les disciples, craignant la répression romaine face à cette sédition. Jésus ne répond pas à leur demande. Mais Lui qui connaît les cœurs, aurait-Il approuvé ces acclamations s’Il avait pressenti qu’elles étaient faussées ?

« Celui qui veut me suivre, qu’il prenne sa croix… »

Il est vrai que le messianisme des apôtres et des disciples reste encore dans un certain flou, dans son application concrète. Mais ils perçoivent par la foi que la Paix arrive. Le Roi Pacifique… « Réjouis-toi Jérusalem parce que le Roi est au milieu de toi, petit, humble, modeste, monté sur l’ânon, le petit de l’ânesse… »

Alors pourquoi après ce message qui fonde le dogme du Christ-Roi de l’univers et Prince du Royaume de Dieu présent au milieu de nous, pourquoi l’Eglise nous présente-t-elle le récit de la Passion ? Pour répondre à notre question ! A la question que nous soulevons lorsque justement, après avoir contemplé les foules acclamant Jésus, nous voyons le Golgotha présent. En répondant à cette question, en répondant au comportement de ces Juifs et de ces disciples, nous pourrons répondre à nos propres comportements. Les disciples ont compris la royauté spirituelle du Christ, mais peut-être que pour la plupart, ils n’ont pas voulu faire le pas. Et nous aussi, nous comprenons. Ne nous faisons pas plus bêtes que nous sommes ! L’Evangile est à la portée du plus simple, d’un enfant. Nous comprenons bien la royauté spirituelle du Christ aujourd’hui. Et si nous partons, laissant Jésus seul devant Pilate, ce n’est pas par incompréhension, c’est parce que nous connaissons le prix à payer pour entrer dans cette royauté.

« Qui veut sauver sa vie la perdra… »

Le récit de la Passion nous révèle effectivement les trois qualités de ce Royaume présent parmi nous : Royaume de Dieu, Royaume de la Sainteté, Royaume de la Paix. C’est ce Royaume qui dérange nos égoïsmes habituels…

Il y a une lutte entre la lumière du Royaume de la Paix et la guerre qui est dans notre cœur enténébré depuis le péché originel. Cette lutte est sanglante. Elle est mortelle et nous avons peur de « celui qui est homicide depuis le commencement » comme Jésus disait en parlant du Satan. Nous comprenons la lutte, nous comprenons ce que Jésus nous demande, mais nous hésitons à nous lancer dans ce combat…

« Qui perd sa vie la trouvera… »

La deuxième vérité que le récit de la Passion nous apprend, c’est que le Royaume de Dieu, le Royaume de la Paix, de la Lumière, le Royaume du Christ entrant à Jérusalem sera victorieux quand il sera anéanti. C’est un pas de plus dans la difficulté : non seulement nous devons combattre, non seulement nous devons lutter pour entrer dans le Royaume, mais nous ne luttons pas de manière politique, nous ne luttons pas avec les poings, nous ne luttons pas avec les forces humaines, nous ne luttons pas avec nos catégories.

Nous luttons avec les armes de Dieu qui sont les armes du Royaume, qui sont les armes de l’Amour ! Le Royaume de Dieu est un Royaume de Paix. C’est donc avec ces armes que le Royaume de Dieu s’installe. Comme le Royaume de Dieu est un Royaume d’Amour, c’est par l’Amour, c’est-à-dire le don, le dépouillement, l’anéantissement, que le Royaume devient victorieux. Voilà ce qui nous fait peur.

« Pour que l’Amour dont Tu m’as aimé soit en eux »

La troisième réalité, Paul la rappelle dans son hymne aux Philippiens : l’abaissement de Dieu qui se fait homme, obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la Croix pour être exalté… C’est dire que, pour être Prince de ce Royaume de la Paix, la victoire passe par l’anéantissement de la Croix, c’est-à-dire par mon dépouillement personnel, journalier, par mon humilité, et elle passe par mon cœur. Si Dieu se fait homme, c’est pour instaurer par l’homme et en l’homme le Royaume de Dieu au cœur de l’homme. La lutte est là, dans le cœur de chacun.

Elle est d’abord dans le cœur de Jésus, vrai Dieu et vrai Homme. C’est Lui le premier qui a lutté pour faire éclater le Royaume de la Lumière et repousser définitivement le Royaume des Ténèbres. Et lorsque Dieu m’ouvre l’oreille par le baptême, comme dit Isaïe, si je laisse pénétrer cette vague, si je laisse s’engouffrer cette eau divine de la Parole de Dieu, si j’accepte la présence du Royaume en moi et si j’accepte la lutte avec les armes du Royaume : l’amour, la bienveillance et la patience, les armes de la charité, de la foi, alors oui, je suis anéanti. Mais cela ne m’atteint pas parce que je vis uni au Christ ressuscité.

« Morts au péché et vivants pour Dieu en Jésus »

Voilà le sens de nos Rameaux. Ils sont l’image de notre gloire, mais ils sont aussi l’image de notre martyr. Si nous acceptons de mourir avec Jésus, si nous acceptons dans Sa logique, dans cette logique du Royaume de Dieu qui est le Royaume de l’Amour, alors oui, nous ressusciterons au jour de Pâques.

C’est la grâce que Paul nous souhaite : « Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous vivrons aussi avec Lui. »

Mgr Jean-Marie Le Gall 

Aumônier catholique Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart

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