Lectio divina

Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

Lectio divina pour le 2ème dimanche de Carême

VIVRE EN EXODE DE SOI !

L’épisode de la Transfiguration que l’Eglise nous propose pour le deuxième dimanche de Carême n’est pas facile à comprendre : les apôtres sont à la fois heureux et saisis de frayeur, ils écoutent le Christ et ne saisissent pas… C’est pourquoi la collecte nous demande d’implorer la grâce afin que nous sachions discerner la Gloire de Jésus, c’est-à-dire comprendre en profondeur le message que le Fils de l’Homme nous donne par cet évènement.

Le Carême, une recherche de Dieu en Église

Relevons tout d’abord l’ambiance de la scène, ambiance qui nous renvoie aux caractéristiques de notre Carême.

Jésus prend avec Lui trois apôtres pour les emmener à l’écart sur une haute montagne. Nous retrouvons là tout l’esprit de notre retraite quadragésimale qui n’est pas une invention de l’homme mais qui a été instaurée par le Christ afin qu’elle soit perpétuée à travers le temps de l’Eglise et donc qui se fait avec Jésus. Cette retraite, ce temps de solitude avec Jésus, se fait en Église : Jésus prend trois des apôtres, ceux-là que Paul appelle les colonnes de l’Eglise. Pierre parce qu’il sera la tête de Son Église, Jacques car il sera le premier des martyrs, Jean le disciple bien-aimé… Cette retraite se fait donc en Eglise. Cela signifie que mon Carême s’exprime dans l’Eglise et non pas dans la seule ambiance de ma religiosité personnelle.

Ensuite, nous voyons que Jésus grimpe sur la montagne, ce qui signifie que mon Carême n’est pas seulement et d’abord un temps de mortification, il est une montée vers Dieu, une recherche du Très-Haut. Car la montagne est, dans toutes les religions, le lieu de la rencontre entre l’homme et Dieu. Avec Jésus, en Église, pour Dieu : tel est le Carême, tel est le tableau environnant la scène de la Transfiguration.

Et nous partons… Nous partons ? Faisons donc notre examen de conscience : au bout d’une semaine de Carême, suis-je vraiment parti ? Ai-je accepté ces quarante jours avec, comme seul appui, la main de Jésus ? C’est difficile ! C’est difficile de quitter les soucis quotidiens, c’est difficile de quitter notre confort, c’est difficile de quitter nos habitudes mentales, intellectuelles, psychiques, pour être, comme l’aveugle dont parle l’Ecriture, celui qui donne la main à Dieu : « Ne crains pas, c’est moi qui te viens en aide, je saisis ta main… » Oui, comme seul bâton la main de Jésus, comme seul but la recherche du Père… Mais laissons notre examen de conscience et repartons dans notre histoire : nous sommes montés avec Jésus et les apôtres et nous arrivons au sommet.

Voir la plénitude filiale à laquelle nous sommes invités

Et que voyons-nous ? Jésus transfiguré. Bien entendu : nous ne le voyons pas comme Pierre Jacques et Jean l’ont vu : nous Le voyons dans la grâce ! C’est le fruit de notre collecte : nous discernons le sens de cette Transfiguration. Sur quoi se fonde la vie chrétienne, pour nous qui n’avons pas vu de nos yeux Jésus ? Sur le sens de Ses actes, sur le sens de Ses paroles, sur l’adhésion à l’enseignement que ces actes et ces paroles contiennent : le miracle de la guérison qui me touche à travers un sacrement, le miracle de la Croix qui me touche par l’Amour présent dans l’Eucharistie… Il ne m’est plus nécessaire de voir Jésus avec des yeux humains puisqu’il y a cette économie de l’Eglise, des sacrements, de la communion des saints qui me fait toucher Jésus autant que Pierre L’a touché et qui me fait voir Jésus autant que Pierre L’a vu. Par la grâce, par la grâce de la foi, en particulier, qui me fait voir Jésus en tous Ses mystères : de l’enfant de la crèche au supplicié de la Croix ; et là, aujourd’hui, dans la clarté de cette Transfiguration. Avec Son corps.

C’est Jésus avec Son corps dans un état glorieux, entouré de deux autres hommes : Moïse et Elie. Moïse est le législateur, Elie est le prophète. Ils rassemblent autour de Jésus toute la Loi et les prophètes, selon l’expression même que Jésus a employée si souvent. Jésus se transfigure dans Son corps avec, à Ses côtés, les deux piliers de l’humanité avec lesquels Yahvé a fait l’Alliance. Les apôtres et nous, si nous avons ce regard de foi c’est-à-dire si nous acceptons de cheminer, comme eux, en prenant la main de Jésus, tous, nous voyons ce à quoi Jésus est appelé dans la perfection de Son humanité et ce à quoi chacun est appelé dans la perfection de son humanité.

La preuve : en plus de cette corporéité qui signifie l’homme, il y a cette voix qui sort du ciel « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-Le. » Et c’est bien à cela que Dieu m’appelle : à être Son fils ! Nous sommes donc en face de ce vers quoi nous tendons. Les apôtres voient, effrayés, cette filiation telle qu’elle s’exprime devant eux ; cette gloire, ces auréoles qui entourent Jésus, Moïse et Elie et qui sont le signe de leur plénitude humaine en Dieu. Plénitude humaine en Dieu : état en perfection du fils de l’Alliance, du fils de la confiance, de celui qui donne sa main à Jésus le frère aîné, comme le figurait Tobie avec l’Archange Raphaël…

Il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans Sa gloire…

Voilà quel est le premier message de la Transfiguration, et le plus simple. Mais l’Esprit Saint apparaît aussitôt (la nuée qui couvre de son ombre, comme à Nazareth). Et avec Sa venue, cette injonction : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-Le. » Oui, écoutons-Le pour savoir quel chemin prendre pour arriver à cette transfiguration de notre personne, âme et corps, résurrection finale de la chair en plénitude…

Que nous dit Jésus ? « Vous ne direz rien jusqu’au moment où le Fils de l’Homme sera ressuscité d’entre les morts. » Dans cette phrase énigmatique où les apôtres ne perçoivent pas tout (par exemple, ce que veut dire : ressusciter d’entre les morts) est expliqué le lien qu’il y a entre cet évènement qu’ils viennent de vivre et la résurrection des morts, entre la Transfiguration et la Résurrection de Jésus. Ils comprennent que si cette Transfiguration est une anticipation de la Résurrection, cette Résurrection transfigurante doit être précédée par la mort.

Le contexte de ce passage d’évangile va nous aider à comprendre. Peu avant la Transfiguration, Jésus annonce Sa Passion pour la première fois : « Il faut que le Fils de l’Homme monte à Jérusalem, qu’Il y soit crucifié et ressuscite au bout de trois jours. ». Le rude pêcheur du lac de Galilée se révolte. Puis vient l’épisode de la Transfiguration avec cette petite phrase sibylline de Jésus qui révèle que cette Transfiguration, cette Résurrection anticipée doit être précédée par la mort ; plus exactement : la mort de Jésus va amener cette Transfiguration. Aussi, quand Jésus pour la deuxième fois, juste après le Mont Thabor, annonce encore Sa mort, Pierre ne bouge plus. Pourtant le Christ prononce les mêmes paroles : « Il faut que le Fils de l’Homme monte à Jérusalem pour y être crucifié, et Il ressuscitera le troisième jour. » Pierre ne bouge plus, Pierre ne se révolte plus. Il a compris qu’il fallait que le Christ souffrît pour entrer dans Sa gloire, comme Jésus le dira aux disciples d’Emmaüs.

Jésus nous enseigne la Vie trinitaire qui est gratuité absolue et éternelle

Comprenons-nous qu’il nous faut mourir pour être glorifié ? Pourtant, nous avons devant nous, avec la première lecture, l’exemple d’Abraham : c’est parce qu’il est mort à lui-même en offrant son fils c’est-à-dire la chair de sa chair, que Dieu lui promet une descendance innombrable… Ce message de la gloire qui exige le renoncement, la mort à soi-même, Jésus le répète à longueur d’Evangile : « Qui aime sa vie la perd… », « Si le grain de blé ne meurt, il ne porte pas de fruit, mais s’il meurt il porte beaucoup de fruit. »

Nous avons du mal à accepter. Nous réduisons souvent cette loi divine à un vulgaire marchandage : donnant-donnant. Tu es pécheur, donc tu me donnes ton fils, dirait Dieu. Pourtant cette loi n’est pas celle de la punition ni celle de l’expiation. Non ! Dieu notre Père nous exprime là le centre même de Sa vie intime !

« Dieu est Amour » nous dit Jean. Dieu est la Vie. Cette Vie, c’est l’Amour. Dieu aime, Son bonheur c’est d’aimer. Son bonheur, c’est de donner. Parce que l’Amour, c’est le don, le dépouillement, c’est la sortie de soi… Dieu vient et nous enseigne qu’au contraire de nos habitudes d’égoïsmes, la vie c’est l’amour et l’amour c’est le don, le dépouillement, la mort à soi-même. Comme dans la Trinité où Dieu n’arrête pas de mourir, si l’on peut dire… Car le Père n’est Père que parce qu’Il se donne au Fils ; et le Fils n’est Fils que parce qu’Il regarde le Père. La Vie trinitaire, c’est une Vie de don, de gratuité absolue, infinie, éternelle. En Dieu, il n’y a pas d’égoïsme, il n’y a pas de repli. Voilà ce que Dieu nous enseigne par l’Incarnation et par la Croix, après nous l’avoir figuré par le sacrifice d’Isaac.

« Ici bas, il n’y a pas d’amour sans souffrance » Ste Bernadette

Si c’est la vie de Dieu qui est ainsi, il doit en être de même pour notre vie puisque nous sommes faits à Son image !

Mais le péché vient se greffer là-dessus. Et c’est le péché qui provoque la souffrance dans le don puisque justement Adam, et chaque homme en lui, a refusé ce don de soi dans la confiance filiale en Dieu. Alors, depuis Adam, toute notre nature est repliée sur elle-même : nous avons du mal à ouvrir nos mains pour donner, nous avons du mal à ouvrir nos lèvres pour sourire, nous avons du mal à ouvrir notre esprit pour comprendre l’autre.

Toute cette souffrance !… C’est pour toute cette souffrance qui nous tue en étouffant notre vocation première que Jésus meurt sur la Croix. C’est là la marque du péché, c’est cela qui fait saigner Jésus. Le don ne peut être que sanglant parce qu’il y a eu, au départ, le péché, le refus du don. Mais il n’en reste pas moins vrai que le cœur énergétique de la vie, c’est le don !

Vivre en permanence en exode de soi

Le Carême n’est pas un temps d’expiation durant lequel il faudrait effacer nos fautes en se mortifiant. Non, durant le Carême, Dieu veut m’apprendre à vivre en exode de moi : me donner, sortir de moi-même, mourir à moi-même, vivre de Sa mort pour vivre de Sa Vie.

Voilà le discernement de la Transfiguration. Voilà ce que les apôtres ont compris. Voilà ce que l’Eglise nous enseigne et nous demande de comprendre, c’est à dire de ‘prendre-avec-nous’ comme viatique pour la route. Alors, bon courage !

Mgr Jean-Marie LE GALL, Aumônier catholique H.I.A Percy, Clamart

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