Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

Lectio divina pour le quatrième dimanche du temps ordinaire

ADORER DIEU EN ÉLEVANT MON CŒUR ET AIMER LE FRÈRE EN LE RETOURNANT VERS LUI

La Collecte, quoique très brève, est essentielle pour nous remettre en face notre vie spirituelle puisque nous y demandons à Dieu de pouvoir « L’adorer d’un cœur sans partage et de pouvoir aimer tout homme d’une vraie charité. » Cela paraît simple, mais que mettons-nous sous le nom d’adoration ? Et comment résolvons-nous ce problème de la partition entre ce qui revient à Dieu et ce qui revient au prochain ? Pensons par exemple à la famille qui doit rester l’objet de notre piété filiale, malgré le renoncement que nous désirons faire pour suivre le Christ. Pensons également à ce débat sans fin qui semble opposer don de soi aux autres et ressourcement personnel… Alors essayons de voir ce qui se cache sous cette Collecte.

L’adoration ou le partage de deux cœurs

L’adoration exprime un mouvement qui a une direction et une forme. La direction nous est précisée par le préfixe ad, adorare. Il nous précise que c’est un mouvement qui part d’en bas, de l’homme, pour aller en haut, et ne s’arrêtera qu’en touchant l’Inaccessible, Dieu, le Créateur : « Tu n’adoreras que Dieu seul. »

Ce mouvement a également une forme que nous connaissons bien pour l’appliquer dans nos rapports humains. Si ad donne la direction, orare nous donne l’eidos de l’acte, sa forme qui le rend intelligible. Orare, c’est prier ; cela vient du mot latin os : la bouche. Donc ad-os, c’est ‘la bouche tournée vers’. C’est bien comme cela que nos relations humaines s’expriment. Nous nous tournons vers…, nous tournons notre bouche vers l’autre pour partager…

Pour partager par la parole : c’est le verbe échangé entre deux êtres pensants. Mais aussi pour partager par l’esprit (par le cœur) : c’est le baiser échangé, avec tout ce qu’il comporte au niveau de sa symbolique. Le baiser d’amitié, le baiser d’amour, c’est le partage de l’esprit, du souffle… Donc ad-os c’est tourner vers l’autre sa bouche pour partager une vérité, une idée, et, au final pour partager un cœur, un amour.

L’adoration c’est être inclus dans le face à face intérieur de la Vie de Dieu

Ainsi en est-il dans la Trinité. Il y a effectivement le Verbe et l’Esprit. Il y a en Dieu échange : c’est toute la révélation du Christ : Dieu n’est pas seul. Dieu est un Dieu en relation, Père, Fils, tous les deux ‘tournés-vers’ : s’exprimant dans le Verbe et s’aimant dans l’Esprit, dans le Baiser, comme les mystiques appelleront l’Esprit, le Souffle donnant la vie…

Donc l’adoration ce n’est pas d’être congelé sur son banc devant l’ostensoir ! L’adoration c’est être face à Dieu, en relation. Plus précisément, c’est être inclus dans le face à face intérieur de la Vie de Dieu, participer à cet échange divin…

Et, depuis l’Incarnation de Dieu dans l’humanité, l’adoration pour l’homme c’est être aussi, comme Jésus, canal par lequel cet échange va passer dans l’humanité. Pour l’adoration, on peut être allongé, debout, prostré. L’essentiel est de s’être invité, avec et dans sa propre chair dans l’échange intime du Père, du Fils et du Baiser.

L’adoration de Dieu est première et sans partage

L’Église nous fait demander non seulement d’ « adorer Dieu sans partage », mais également d’« aimer les hommes par une vraie charité. » C’est dire qu’il n’y a pas d’exclusive dans cette relation à Dieu : je dois adorer Dieu et aimer l’homme.

Or je dois adorer Dieu « sans partage. » Ceci laisse entendre que les deux actions d’adorer et d’aimer ne se situent pas au même niveau. Ce n’est pas une partition puisque je dois adorer sans partage. Il ne peut s’agir de partager un petit peu de Dieu avec un petit peu des hommes : un petit peu de prière avec un petit peu de vie fraternelle, un petit peu de vie apostolique et un petit peu de vie contemplative, un petit peu de messe le dimanche matin pour un petit peu de vie familiale l’après-midi…

Ce n’est pas une partition, c’est une implication. C’est ce qu’explique Paul dans la lecture. Il nous montre que la véritable charité vient de Dieu ; c’est celle que Dieu a manifestée pour nous par Jésus-Christ. Cet agapé, cette manifestation par le Christ de l’amour de Dieu pour l’humanité, cette vraie charité elle ne vient donc pas de nous-mêmes, elle nous est donnée de Dieu. D’où la précision de Paul : « Vous cherchez le don supérieur à recevoir de Dieu, je vais vous l’enseigner : c’est la charité. »

Cela veut dire que pour aimer l’homme d’une vraie charité j’ai besoin de cette charité divine qui vient de Dieu par Jésus-Christ ; j’ai donc besoin d’être d’abord en communication avec Dieu, en communion avec Lui par ce que nous appelons l’adoration. Oui, pour aimer un homme d’une vraie charité je me dois d’être d’abord en état d’adoration pour recevoir dans mon cœur la vie divine : « Tout au long du jour ton amour coule sur moi… » dit le psaume.

Laisser Jésus venir en moi en Son état d’orant

Si j’ai vraiment le désir d’adorer Dieu et d’aimer l’homme, alors par la communion eucharistique je recevrais le Christ adorateur du Père et ami de l’homme.

Je vais recevoir le silence de la prière de Jésus au désert.

Je vais recevoir la profondeur de la prière de Jésus : « Tout ce que je dis,… tout ce que je fais, je le dis, je le fais au nom du Père. »

Je vais recevoir la joie de la prière de Jésus : « Je vous donne ma joie pour que ma joie soit en vous… »

Je vais recevoir aussi la paix de Jésus : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix… » Je recevrai peut-être même la passion de Jésus c’est à dire cette capacité d’être passif aux souffrances que la vie nous envoie pour les transformer en offrandes pour le monde.

Aimer son prochain comme soi-même…

Mais le premier frère à aimer, le plus petit et le plus éloigné de mon esprit et surtout de mon cœur, c’est moi-même. Plus exactement, cette part de moi-même que je n’aime pas et que je refoule car elle ne correspond pas à l’image idéale que je me fais de ma personne et de ma mission… Cet ennemi que le Christ nous demande d’aimer, n’est-elle pas cette ombre qui me gêne en moi et m’indispose, me trahit et me vexe, me blesse tant par sa présence réelle que par la fausse absence que je lui impose ? Ce double obscur de moi-même qui me suit et que je ne peux jamais ni enjamber ni oublier, ne doit-il pas être l’objet premier de ma « charité prenant patience » et supportant tout ? Ne serait-ce pas le meilleur « service à me rendre » à moi-même que de le réintégrer humblement dans ma personne qui est aimée de Dieu dans son entièreté ?

Et s’aimer comme mon Père m’aime…

Car l’Amour que Dieu nous manifeste en Jésus n’est-il pas aussi pour cette « veuve étrangère » et de laquelle pourtant vient le salut ?… L’homme sauvé par le Seigneur d’Israël ne s’appelle-t-il pas aussi « Naaman le Syrien » ? Cet impie impur qui réside au fond de moi et fait part avec mon être chrétien, c’est lui que je dois reconnaître pour l’apprivoiser et le purifier en dégonflant l’orgueil de son perfectionnisme ! Si je donne à manger et distribue ma fortune aux autres, si je me fais brûler vif avant de me réconcilier avec moi-même par cet agapé que me propose un Dieu qui m’aime, Lui, dans ma totalité, je ne suis qu’une « cymbale retentissante. »

Mais si je m’applique à moi-même l’Amour que Jésus me porte, si « je m’aime moi-même comme Il m’a aimé », si je comprends que Dieu qui aime toute ma personne et de toute éternité comme le rappelle Jérémie, préfère plus en moi mes fragilités (car elles sont plus vraies) que mon ego idéal (qui n’est que virtuel), alors, je pourrais dire avec saint Paul : « Maintenant, je suis un homme, car j’ai fait disparaître ce qui faisait de moi un enfant ! »

Mgr Jean-Marie Le Gall, Aumônier catholique H.I.A Percy, Clamart

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