Lectio divina

Une lectio divina est une commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposées par l’Église pour la Messe du jour.

Lectio divina pour le vingt-cinquième dimanche 2015

« VOTRE PEINE ME FAIT PEINE ! »

Ma mission de bon samaritain auprès des blessés et malades à l’Hôpital militaire de Percy, la prochaine fête de Saint Vincent de Paul et l’actualité poignante et pressante des migrants m’incline à orienter la réflexion de ce 25ème dimanche ordinaire sur la charité compatissante que l’évangile nous commande d’avoir envers nos frères en humanité, en particulier les plus pauvres.

« Votre peine me fait peine »

Comment ne pas être interpellé par ce cri de Vincent de Paul et sentir, en même temps, que l’on est loin de sa brûlante compassion vis à vis des faibles de toutes catégories !…

Quel est celui ou celle qui peut prononcer ces mots en vérité ? Combien de fois nos condoléances sont hypocrites, fausses ? Combien de fois suis-je passé devant des pauvretés, à côté de la souffrance, ponctuant uniquement la rencontre par quelques paroles de bienséance mondaine ? Savons-nous vivre comme les grands saints du caritatif (Vincent, Jean Bosco, Mère Térésa et bien d’autres…) cette phrase si brève et qui résume si bien l’Évangile ?

En regard à notre indifférence, comptons le nombre de miracles que Notre Seigneur a effectués vis-à-vis des pauvres, des malades… D’ailleurs, l’Evangile lui-même ne se résume-t-il pas dans la croix qui n’est rien d’autre qu’un vécu extrêmement puissant de cette phrase :  » Votre peine me fait peine  » ?!

« J’ai versé telle goutte de sang pour toi »

Nous considérons trop souvent la Croix uniquement dans son aspect  » passion  » comme une espèce de folie de Dieu qui ne nous concernerait pas. En un mot : si Dieu est fou d’Amour pour nous, c’est Son problème… Profitons-en seulement !

Non, il faut regarder la Croix dans toute sa dimension, non seulement la dimension verticale, mais la dimension horizontale : les bras ouverts de Jésus qui expriment, au-delà de la seule passion et de la souffrance, la compassion. C’est la compassion du Christ.

Sur la croix, résumé et explication de Ses 33 ans de vie, Jésus nous explique et nous montre que, non seulement Il souffre, mais qu’Il souffre avec nous et pour nous.

La compassion, c’est participer à la souffrance de quelqu’un, pour qu’il ne soit pas seul à supporter le poids de la douleur et ainsi, l’aider et lui redonner l’espérance, le courage de se battre pour goûter à nouveau à la vie. Oui, compatir pour consoler c’est souffrir avec celui qui est seul pour qu’il ne le soit plus !

 » J’ai versé telle goutte de sang pour toi «  dit Jésus à Pascal. Sur la croix, c’est véritablement cette compassion du Christ, cette compassion du Père qui me dit par Son Fils :  » J’ai peine de ta peine « , J’ai peine de ta souffrance, de ton éloignement de Ma Vie à cause du péché. Alors, voilà, je compatis en partageant au plus haut point ta souffrance, ton isolement, ta mort…

Nous pouvons tirer deux conséquences de cette réalité du Christ en passion car en compassion.

Jésus est en agonie jusqu’à la fin du monde !

La première, c’est que si Jésus s’est à jamais mis du côté des hommes face à Son Père, des pauvres hommes atteints par le péché, Il s’est particulièrement mis aussi du côté des hommes pauvres : ceux qui sont particulièrement atteints par les conséquences du péché ! Comme nous le rappelle Saint Jacques dans la lecture : les guerres, les haines, les meurtres, les vols, ne sont que les conséquences, les fruits mauvais de nos jalousies, de notre péché, de notre égoïsme.

Il y a donc des hommes dans le monde qui sont pécheurs comme tout homme, mais qui, en plus, souffrent des conséquences du péché de manière toute spéciale. Ils souffrent de la guerre, de la famine, des injustices, de la pauvreté… Ils souffrent dans leur corps, dans leur cœur.

C’est pourquoi Jésus continue de souffrir avec nous tous, nous les pauvres hommes atteints par le péché, mais aussi particulièrement les hommes pauvres qui, non seulement sont atteints comme nous tous par le péché, mais sont également touchés par les conséquences concrètes du péché. C’est pourquoi Pascal écrivait : « Jésus est en agonie jusqu’à la fin du monde ! » Sa passion et Sa compassion continuent. Il continue de souffrir avec nous et pour nous, et Il continue de souffrir plus particulièrement avec les hommes pauvres, avec ceux qui sont écrasés par ce que S. Jean-Paul II appelait la structure du péché de notre monde.

« Tu as du prix à mes yeux et je t’aime… »

Ce n’est pas pour nous culpabiliser que le Pape soulignait cette vérité, c’est pour avoir conscience que si tous les hommes sont pécheurs, certains d’entre eux, malheureusement, subissent de manière plus physique le poids de tous les péchés. Et Jésus qui continue d’intercéder pour nous dans le Ciel, continue donc Sa passion et Sa compassion pour nous tous, mais particulièrement pour ces faibles broyés par le poids du Mal qui s’immisce dans tous les espaces et lieux de nos sociétés.

Le Fils ne le fait pas à la manière du syndicaliste qui mène le combat de son bureau. Il le fait comme ce Dieu qui a pris une fois pour toutes notre humanité, qui s’est intégré à elle, qui a intégré l’humanité dans toutes les fibres de Sa vie divine, fibres qui vibrent à chaque souffrance de chacun d’entre nous, quelle que soit la race, quelle que soit la religion, quel que soit le pays, quelle que soit l’époque… Il n’y a pas une souffrance qui ne fasse vibrer le cœur de Dieu parce qu’Il a compati à jamais.

« Aimons puisque Dieu nous a aimés le premier ! »

La deuxième conséquence, c’est que si Jésus continue Sa passion et Sa compassion envers les pauvres hommes et envers les hommes pauvres, moi qui suis chrétien, c’est-à-dire du Christ, puis-je rester étranger à ce qui a été le moteur premier de la vie et de la mort de mon Maître ?

Puis-je, depuis l’Incarnation, voir un visage d’homme sans y voir le visage de Jésus ?

Puis-je, depuis la Croix, voir un visage douloureux sans y unir automatiquement Jésus qui, sur la Croix, a compati à la souffrance de cet homme, de cette femme ?

Puis-je, depuis la Résurrection, vivre ma vie sans l’unir à travers la Résurrection de Jésus, à la vie de ce frère accablé par les conséquences du péché du monde, de mon péché comme du péché des autres hommes ?

D’où la Collecte qui résume toute la loi en l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Ce n’est pas de la philanthropie, ce n’est pas du simple humanitarisme, c’est la loi, c’est la vie même de Dieu qui est Amour !

Là où est l’Esprit d’Amour, là est l’Eglise…

Jésus a donné Sa vie pour nous, par Amour pour Son Père et avec l’Amour que le Père avait pour nous :  » Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés.  » Si c’est par Amour du Père que le Fils aime les hommes, Il va les aimer comme le Père les aime, avec autant d’intensité, autant de miséricorde, autant de bienveillance. Et je dois, moi aussi, me laisser envahir par cette charité de Dieu qui « tous les jours coule sur moi » dit le psalmiste, pour aimer mes frères. Car la Parole ne me demande pas de les aimer avec mes pauvres forces humaines. Elle me demande de les aimer par cette Agapè divine, par amour du Père et dans l’Amour du Père : « Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. »

Voilà qui est plus difficile car la mesure de la charité est d’être sans mesure, comme disait saint Bernard. Il faut laisser descendre Dieu pour qu’Il demeure en nous et nous donne ainsi de Le laisser aimer nos frères à travers nous ! Ainsi unis à Dieu nous pourrons aimer les hommes, les pauvres hommes, les hommes pauvres comme Dieu les aime, par le même Esprit d’Amour.

« Il remit l’Esprit… »

C’est ça l’Église. Si nous n’acceptons pas cela, sortons de l’Église, faisons-nous libres penseurs, philanthropes… Les associations humanitaires ne manquent pas pour nous accueillir, mais ne nous prétendons pas chrétiens !

L’Évangile, c’est le Fils qui donne Sa vie pour les hommes par Amour de Son Père. Et l’Église ? Ce sont les fils, nous, qui donnons notre vie pour les hommes par amour du même Père et dans le même Amour qui est l’Esprit répandu pour cela par Jésus sur la Croix ! Si nous n’enracinons pas nos actes dans cette vérité historique et théologique de la Passion-Compassion du Christ en Croix, nous réduisons l’Église à une simple ONG, comme le rappelait le Pape François dans une de ses toutes premières homélies.

Dit autrement : celui qui veut être le premier, c’est-à-dire le Christ, le Premier-né d’entre les morts, l’Homme nouveau, qu’il soit comme le Christ, serviteur de tous.

Voilà un enseignement que l’Église nous suggère en ce dimanche, enseignement que Saint Vincent de Paul a vécu et que nous devrions vivre avec lui. Pour cela, recentrons notre vie sur Dieu. N’essayons pas de combler les trous de nos journées par quelques actions dites caritatives : centrons toute notre vie sur la Passion-compassion de Jésus que l’on entendra nous dire alors : « Va et toi aussi fais de même ! »

Mgr Jean-Marie LE GALL, Aumônier catholique H.I.A Percy, Clamart

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