Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« ENTRE DANS LA JOIE DE TON MAITRE ! »

Lectio divina pour le 5ème Dimanche de Carême Année A
Ez.37, 12-14 Rm.8, 8-11 Jn.11, 1-45.

Encore un évangile particulièrement beau et particulièrement long ! Et si nous conseillons de ne pas prendre la lecture brève qui est proposée dans la liturgie c’est pour nous aider à entrer dans l’esprit de l’évangéliste, qui insiste pour nous décrire le contexte humain de cet acte extraordinaire qu’est la résurrection de Lazare. Extraordinaire non pas seulement au sens miraculeux, mais au sens où nous commençons déjà à nous approcher de l’‘extra-ordinaireté’ de la vie du Christ, c’est-à-dire Sa Passion, Sa Mort et Sa Résurrection.

« Beaucoup crurent en Lui … Dès ce jour-là ils résolurent de le tuer. »

Nous sommes en effet à la fin de notre deuxième ligne droite du Carême. Nous sommes entrés sur cette ligne droite avec le 3ème dimanche, dit de la Samaritaine ; nous l’avons poursuivie avec le dimanche dit de l’Aveugle-né. Et nous voilà au dernier dimanche avec le récit de la résurrection de Lazare, clôturant cette longue étape qui rassemble l’enseignement sur la foi proposé aux catéchumènes, mais aussi à chacun d’entre nous.

Nous sommes à un dimanche charnière avec le voilage de la croix qui signifie qu’effectivement, nous entrons dans le contexte de la Passion, et nous nous dirigeons vers les derniers jours de Jésus : l’entrée à Jérusalem -le dimanche des Rameaux- et la Grande Semaine Sainte.

C’est un dimanche charnière. D’ailleurs il est dommage que l’évangile ait été coupé à cet endroit car à la fin de l’évangile de la résurrection de Lazare, il y a la phrase que nous entendrons : « Beaucoup de juifs crurent en Lui », mais juste un peu après : « Dès ce jour-là ils résolurent de le tuer. »

Dimanche charnière donc entre la vie de Jésus, vie publique et vie de miséricorde, vie de patience et de bonté, et puis, ces derniers jours où la haine du peuple juif va atteindre son paroxysme jusqu’à la condamnation du Jeudi Saint.

« Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. »

Nous nous souvenons que nous avons rencontré Jésus à travers l’épisode de la Samaritaine et le symbole de l’eau, comme la Source de Vie, Celui qui nous fait entrer dans la Vie éternelle, la Voie sur laquelle Lui-même nous pose pour marcher vers le Salut, à travers le Baptême qui est le sacrement de l’eau.

Et puis, le dimanche de l’aveugle-né nous a fait découvrir, à travers le symbole de la vue rendue à l’aveugle, le Christ-Lumière, le Christ Vérité qui, après nous avoir mis sur la route par le Baptême, nous accompagne tel un Jalon de lumière, nous guide pour nous faire marcher dans la bonne direction qui est, souvenez-vous-en, l’adoration de Dieu en esprit et en vérité, c’est-à-dire l’accomplissement de Sa Volonté.

Aujourd’hui, nous allons découvrir le Christ avec un autre visage à travers l’évènement symbolique de la résurrection de Lazare. Nous allons découvrir que le Christ est notre fin, notre aspiration. Il n’est pas seulement Celui qui nous propulse sur la voie du Salut, comme aurait pu le faire un prophète : Il n’est pas seulement Celui qui nous accompagne comme Raphaël accompagna Tobie. Il est Celui vers Lequel nous marchons, à la fois l’alpha et l’oméga, la route, le compagnon, mais aussi la Vie. Souvenons-nous : le Christ est « Voie, Vérité et Vie », source, accompagnement et plénitude.

« Voyez comme Il l’aimait ! »

Et nous voici donc dans ce dimanche de la plénitude où Jésus se présente à nous, à travers cette résurrection, comme notre fin, notre but. Quel est en effet, le sens de la résurrection de Lazare ?

Il y en a au moins trois. C’est donc un évangile plus complexe, mais d’autant plus nourrissant, que les deux évangiles précédents.

Et c’est normal : notre foi, depuis quinze jours, a progressé. Nous avons découvert ou redécouvert des réalités de notre Credo. Jésus s’est présenté à nous dans Son être, dans Sa personne, dans Sa fonction salvatrice, avec la Samaritaine, avec l’Aveugle-né, et nous avons certainement mieux adhéré intérieurement à cette découverte que Jésus nous a faite de Lui-même.

Pour cette raison, ce n’est plus aux païens qu’Il s’adresse (à nous à travers la Samaritaine) ; ce n’est même pas à l’aveugle, au mendiant inconnu représentant l’humanité pécheresse et aveuglée par son péché…

Aujourd’hui, Jésus s’adresse à nous à travers un personnage très précis, qui est nommé à plusieurs reprises : Lazare qui appartient à une famille proche de Jésus. C’est quelqu’un de connu, c’est quelqu’un de nommé ; mieux, c’est un ami.

Nous aurons remarqué comme le mot revient souvent : « l’ami », « Il l’aimait », « Voyez comme Il l’aimait », « Jésus fut ému… », « L’émotion le prit… » Nous insistons sur ce caractère extrêmement descriptif et précis de l’évangile de Jean : il faut effectivement entrer dans les sentiments donnés dans le contexte pour bien comprendre et saisir le message de l’évangéliste.

Lazare est un ami, et nous sommes à travers Lazare, des amis de Jésus, parce que effectivement, nous avons partagé depuis quinze jours quelques vérités que Jésus nous a distillées au goutte à goutte.

L’ami c’est celui qui partage. Et comme Jésus nous considère maintenant comme des amis, Il va nous révéler encore plus de choses. Il va tout nous dire ! Souvenons-nous de ce que dit Jésus aux apôtres : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis parce que je vous ai tout dit de ce que je sais du Père… » Le serviteur ignore ce que fait le maître, mais l’ami partage.

Lazare, El azar : « Dieu-a-secouru. »

Nous sommes donc, à travers Lazare, considérés comme des amis de Jésus. Et Il se dévoile. Que dévoile-t-Il ? Trois choses.

Tout d’abord, la résurrection de Lazare, nous le pressentons immédiatement, est la figure de la Résurrection du Christ. Le contexte de ce temps de Passion, temps où les juifs décident de le tuer, et puis, bien entendu, les paroles mêmes du Christ sur la mort et la résurrection, sont là pour nous orienter directement et de manière fulgurante sur la propre mort et Résurrection du Christ.

Et surtout, surtout le fait que Lazare est un nom qui est identique à celui de Jésus.

Lazare, en effet, c’est El azar, c’est-à-dire « Dieu-a-secouru. » Or, Jésus c’est : « Dieu- sauve »… Lazare est donc, d’une certaine manière le symbole de Jésus !

Ainsi la résurrection de Lazare est-elle clairement l’anticipation, la figure de la Résurrection de Jésus.

« Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra… »

Le deuxième sens, aussi facile à discerner, est que la résurrection de Lazare est la figure de notre propre résurrection. De même qu’à travers l’aveugle qui devient voyant, c’est l’humanité qui retrouve la vue, de même à travers Lazare qui ressuscite, c’est l’humanité qui retrouve la vie.

Dimanche dernier nous célébrions la résurrection de la vue, aujourd’hui, nous célébrons la résurrection de la vie.

D’ailleurs Lazare veut dire « Dieu-a-secouru » au sens passif du mot, c’est-à-dire : Lazare a été secouru par Dieu, comme chacun d’entre nous…

Bien entendu, la résurrection de Lazare est une résurrection temporaire, alors que la résurrection promise par Dieu est éternelle : « Si tu crois tu verras la gloire de Dieu. » Donc l’éternité, puisque la gloire de Dieu pour les juifs cela exprime ce que nous appelons le Paradis.

Jésus est très clair lorsqu’Il dit : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra et celui qui vit et qui croit, ne mourra jamais. » Comme nous le rappelle saint Paul, nous savons bien que le péché a fait entrer la mort dans le monde, et que notre nature d’homme est de condition mortelle ; donc il ne s’agit pas d’être des surhommes, des immortels. Il s’agit non pas de la résurrection à la manière de Lazare, il s’agit de l’éternité de la Vie spirituelle de notre âme dans le Ciel. C’est le deuxième sens.

« Demeurez dans mon amour. »

Le troisième sens est le plus caché. Nous nous sommes certainement rendu compte que ce deuxième sens que Jésus déclare sur notre propre résurrection est un petit peu comme un coup d’épée dans l’eau, parce Marthe, elle le sait et elle le Lui dit : « Seigneur, je sais bien que mon frère ressuscitera à la fin des temps. »

Ceci nous fait penser qu’il y a quelque chose d’autre dans le message du Christ, une nouveauté, par rapport à la croyance de Marthe et que Jésus veut dévoiler.

C’est ceci. Si le Christ ressuscite, (premier sens), si nous ressuscitons après le Christ et par le Christ, (deuxième sens), la conséquence est que nous chrétiens, nous qui croyons, lorsque nous ressusciterons nous demeurerons avec le Christ !

Celui qui croit sur la terre demeure avec Jésus : « Demeurez dans mon amour. » Voilà l’appel de Jésus aux croyants : demeurer, avec le sens bien spirituel que donne Saint Jean à ce verbe demeurer, c’est-à-dire être uni, être cœur à Cœur avec Lui.

Mais avec cette impossibilité d’avoir, ici-bas, l’union parfaite, à cause de notre imperfection. Alors, lorsque nous déduisons des phrases de Jésus que nous demeurerons avec Lui, c’est au sens de l’Au-delà qu’il faut comprendre le verbe demeurer, le sens du Ciel, c’est-à-dire la plénitude.

Nous demeurerons avec Lui, non pas au sens où nous l’entendons déjà dans notre vie chrétienne de foi (nous croyons à des réalités que nous ne voyons pas), mais au sens bien spécifique de la Vie éternelle où il n’y aura plus aucun obstacle, où nous verrons de nos propres yeux la gloire de Dieu. Nous demeurerons, c’est-à-dire ce sera l’osmose totale, la communion parfaite, l’union ! Et donc l’achèvement de ce précepte que Jésus nous donne de demeurer en Lui.

« Je suis la Résurrection et la Vie. »

Et c’est pour cela que Jésus dit : « Je suis (c’est-à-dire Dieu, la perfection) la résurrection et la vie. » Il ne dit pas seulement : Je ressusciterai, Je vous ressusciterai, vous ressusciterez… Il dit : « Je suis la Résurrection et la Vie » ! Donc on ne peut pas séparer l’acte de la Résurrection de la personne de Jésus ! Autrement dit, ressusciter pour nous chrétiens c’est, comme dit Paul, nous dissoudre éternellement dans la Personne de Jésus…

Voilà donc le grand enseignement de l’évangile de Lazare : « Je suis la Résurrection et la Vie. »

Ressusciter, nous nous posons sur ce fait quelques questions : avec ou sans notre corps, de quelle manière ? Boiteux ? À quel âge ? Sous quelle plénitude ? Tout cela ne sont que des questions annexes et secondaires qui n’ont pas d’intérêt pour notre âme. L’intérêt premier pour notre âme de croyant est de savoir que l’acte de la résurrection c’est une Personne, c’est un ‘être-dedans-la-personne’, c’est un ‘entré-en-elle.’ Lorsque je ressuscite, j’entre dans le Cœur de Jésus. Ressusciter pour moi, c’est entrer dans le Cœur de Jésus et me perdre dans Sa Personne.

Les conséquences pratiques ? Regardons-les à la lumière de cet autre enseignement de Jésus qui rejoint celui de la résurrection de Lazare.

Il y a une phrase de l’évangile où Jésus parle de cette ‘entrée-dans’, c’est la parabole de l’intendant. Il dit : « Heureux es-tu parce que tu as été fidèle en de toutes petites choses ; je vais t’en confier des grandes. Entre dans la joie de ton maître. »

Ce n’est pas : ‘viens avec Moi’, ce n’est pas : ‘demeure avec Moi’ au sens où nous l’entendons humainement ou même où nous l’entendons chrétiennement ici-bas. « Entre dans la joie de ton maître » : Entre en Moi ! Puisque tu as été fidèle, -croyant jusqu’à être confiant avec persévérance à l’application de ton cœur aux petites choses du quotidien !

« Père je te rends grâce… »

Et nous aurons remarqué comme Jésus exprime Sa joie malgré l’émotion de la mort de Lazare : « Père je te rends grâce… »

Il était bouleversé de la mort de Son ami certainement. Il était surtout bouleversé de faire cette révélation devant Ses amis : Béthanie, le lieu du miracle qui veut dire « la maison d’amitié » ! Devant Marie la pécheresse, Lazare Son ami et sa sœur Marthe, cette famille chez laquelle Il viendra se réfugier dans Ses derniers moments, dans les derniers instants pour se préparer aux heures de la Passion et pour se réconforter. Voilà que c’est devant ce petit groupe (avec les juifs qui étaient venus parce qu’ils étaient les amis de Marthe, de Marie et de Lazare), devant ce petit groupe d’intimes -comme le jour de la Transfiguration- que Jésus révèle cette vérité extraordinaire de la dissolution de l’homme en Dieu.

Demandons d’être fidèles dans les petites choses du quotidien, de notre devoir d’état, d’être fidèles dans nos amitiés qui sont si importantes dans nos vies : l’évangile d’aujourd’hui en est la preuve. Demandons d’être fidèles dans nos amours, demandons d’être fidèles dans nos devoirs, demandons d’être simples, d’être humbles dans l’obéissance aux évènements quotidiens pour que Jésus puisse nous dire en nous faisant ressusciter : « Entre dans la joie de ton maître ! »

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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