Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« C‘EST LA SOURCE QUI EST ALTEREE, C’EST LE RICHE QUI SE FAIT PAUVRE… »

Lectio divina pour le 3ème Dimanche de Carême Année A
Ex.17, 3-7 Rm. 5, 1-8 Jn. 4, 5-42

Nous arrivons à la fin de la première ligne droite de notre Carême. L’Église fait toujours bien les choses : c’est normal, c’est notre mère ! Elle va nous faire prendre un premier tournant dans notre Carême, nous obligeant ainsi à nous réveiller ! Premier grand tournant vers les trois prochains dimanches (celui-ci et les deux qui suivront) puisqu’avec eux l’Église prépare immédiatement les catéchumènes qui se feront baptiser lors de la Vigile Pascale, suivant une tradition remontant aux premiers siècles.

« Pour vous qui suis-je ? »

C’est donc une occasion pour l’Église de nous réveiller nous aussi, et de nous rappeler qui est Jésus, ce Jésus en qui nous croyons. Qui est-Il ? Qu’est-Il venu faire ? Quelle est la synthèse de la Bonne Nouvelle du Salut ? Si en sortant de l’église, quelqu’un nous demandait ce qu’est l’Évangile, que lui répondrions-nous ?

Alors, l’Église nous donne ces trois dimanches : aujourd’hui, dimanche de la Samaritaine, dimanche prochain avec la guérison de l’aveugle-né en Jean 9, et enfin le dimanche suivant, la résurrection de Lazare, en Jean 11.

L’Église va se servir des évènements de la vie de Jésus, du langage de Jésus, des symboles de Jésus pour nous résumer le contenu de notre foi, ce vers quoi tendent les catéchumènes qui vont s’agréger à l’Église en adhérant au message évangélique.

L’eau, la lumière et la vie…

L’Évangile de la Samaritaine met en avant un symbole très humain que nous connaissons bien, qui est donc tout naturellement utilisé dans la Bible à maintes reprises (la lecture de l’Exode) : le symbole de l’eau, et de l’eau vive (le puits de Jacob est profond, mais ce n’est pas de l’eau stagnante, c’est de l’eau vive qui bouillonne). Car l’eau vive est source de vie : c’est de l’eau que provient la vie dans notre univers.

La guérison de l’aveugle-né, dimanche prochain, symbole de la lumière, symbole de l’accompagnement de ma route d’homme, symbole du jalon qui m’éclaire, qui me guide comme la lumière de Dieu, colonne de feu guidant le peuple dans le désert de l’Exode.

Et puis enfin, la résurrection de Lazare avec le symbole si évident de la Résurrection : signe de la Vie sans fin, de la Vie éternelle, de la Vie victorieuse de la mort…

« Je suis la voie, la vérité et la vie… »

Voici l’enseignement de cette symbolique que Jésus veut nous transmettre par ces trois évangiles.

Le Christ donne l’eau, aujourd’hui, Il est donc source de Vie : c’est Lui qui me fait entrer dans une Vie nouvelle, dans une Vie de communion avec Son Père.

Par le Baptême, sacrement de l’eau, je suis purifié, je suis vivifié, je deviens enfant de Dieu, j’entre dans la Vie. Relisons l’épître de Saint Paul aux Romains…

Le Christ, dimanche prochain, nous rend la vue. Il est donc le jalon, le garde-fou de ma route, le compagnon qui m’éclaire, qui me donne la main, qui me guide. Il est Vérité.

Enfin, le Christ me ressuscite à travers la résurrection de Lazare. Il est donc ce vers quoi je tends, ce vers quoi j’aspire : Il est ma fin, la Vie. Il est Vie en plénitude.

Voilà comment nous pouvons synthétiser par ces trois symboles de l’eau, de la lumière et de la vie la Bonne Nouvelle du Salut.

Comme Jésus d’ailleurs se définira Lui-même dans les discours après la Cène, lorsqu’Il dira :

« Je suis la Voie » : ce par quoi tu t’engages sur la route du Salut, ce sur quoi tu viens te mettre pour te construire, la Source…

« Je suis la Vérité » : Je suis le jalon lumineux qui t’accompagne et qui te montre, te guide, en particulier par la Parole et par l’Eucharistie qui est réalisation de la Parole…

« Je suis la Vie » : la Vie Éternelle, Je suis ta fin, ce vers quoi tu marches pour t’accomplir en plénitude…

Je suis l’alpha et l’oméga…

Je suis ton alpha, ton oméga, Je suis ta route et ton compagnon, Je suis Celui qui t’élance, et Celui qui t’attend, comme Celui qui te tient la main…

Voilà comment nous pourrions définir, en sortant de l’église, Jésus, cet homme et ce Dieu en qui nous croyons.

Aujourd’hui, regardons particulièrement le symbole de l’eau dans toute cette synthèse évangélique : il nous montre donc que Jésus est source de Vie.

Jésus est source de Vie, Celui qui me fait entrer dans une Vie nouvelle, Celui qui me fait entrer en communion avec Son Père, parce qu’Il me donne d’être adorateur en esprit et en vérité. Adorateurs nous le sommes : l’homme est naturellement adorateur du soleil, de la lune, des arbres, de l’argent, du sexe, du pouvoir, du totem, de l’idée, etc… Il est aussi quelquefois adorateur de Dieu, mais de quel Dieu ? Qui est ce Dieu que j’adore ?

Jésus vient faire de moi un adorateur en esprit et en vérité. Il vient rééduquer aujourd’hui ma prière. Il vient rééduquer aujourd’hui mon regard sur Dieu.

Il vient donc aussi rééduquer aujourd’hui mon regard sur moi-même. Qui suis-je pour adorer Dieu !?

« Celui-ci est vraiment le Sauveur du monde. »

Jésus est donc le Sauveur, Celui qui m’établit, ou qui me remet, selon que je suis catéchumène ou déjà baptisé, dans la direction de ma vocation, celle de l’appel de Dieu : « Viens, suis-moi… » La vocation d’Abraham, la vocation de Marie, la vocation de Pierre, la vocation de Matthieu…

Jésus est le Sauveur, et Jean, qui n’utilise qu’une fois dans son Évangile le mot de Sauveur, l’utilise justement pour clore cet épisode : Oui, disent les Samaritains, « celui-ci est vraiment le Sauveur du monde », Celui qui donne la clé du Salut, Celui qui en est la porte comme Jésus dira en Jean 10.

Jésus est le Sauveur du monde. L’expression est à prendre dans le sens le plus global possible. Oui, c’est vrai, le Salut vient des Juifs, puisque Je suis juif (« Comment toi qui es juif, tu me parles à moi qui suis une samaritaine ! ») : Jésus ne renie pas Son origine, Il ne se dit ni universel ni apatride. Non, non, Il est juif. Mais, Il vient chez les Samaritains qui, parce qu’ils ne sont pas juifs, expriment (comme les rois mages au moment de la naissance du Christ) l’universalité du Salut apporté par Jésus.

Les Samaritains sont les premiers, par cette femme, à recevoir cette révélation extraordinaire de la messianité de Jésus. Jusqu’à présent Jésus n’avait rien dit. Il se présentait seulement comme un homme fort en enseignement, fort en miracles. C’est un homme qui parle « tamquam habens auctoritatem », comme ayant autorité, mais c’est aussi un homme miséricordieux. Et, lorsque la femme dit : « J’attends le Messie », Jésus pour la première fois se révèle comme tel : « Je le suis, moi qui te parle. »

De même qu’Il se révèlera à l’aveugle-né, dimanche prochain : « Crois-tu au Fils de l’Homme ? Qui est-il Seigneur pour que je croie ? Il est là, tu le vois. Et il se prosterna et L’adora. »

De même qu’Il se manifestera à la sœur de Lazare : « Je suis la résurrection et la vie. Crois-tu cela ? »

« Donne-moi à boire ! »

Jésus est le Sauveur, le Sauveur du monde, du monde pris dans toute sa dimension, nous pourrions dire romaine, c’est-à-dire le monde de l’époque, le monde des païens, le monde des gentils.

C’est utile pour nous. Nous avons, nous, à témoigner aussi, non pas seulement entre nous -c’est relativement facile- mais aussi envers ceux qui sont des ‘païens’, qui ne croient pas, qui n’ont pas encore reçu le message de la Bonne Nouvelle.

Mais l’évangéliste Jean s’en voudrait surtout de ne pas rapporter dans ce dialogue si discret, si intime entre Jésus et cette femme, la soif que Jésus exprime vis-à-vis de son âme : « Donne-moi à boire » ; voilà comment commence le discours.

« Donne-moi à boire… Comment toi qui es un homme, tu me demandes à boire, moi qui suis une femme ? »

Nous savons que les Juifs, et en particulier, les rabbis, n’avaient pas le droit de s’adresser publiquement à une femme.

« Donne-moi à boire… » Jésus a soif de son âme comme Il a soif de nos âmes, ainsi qu’Il l’exprimera à nouveau à la Croix : « J’ai soif… »

C’est la Source qui est altérée, c’est le Riche qui se fait pauvre, qui vient mendier, c’est le Tout-Puissant qui se fait petit.

« Celui qui m’ouvre, j’entrerai chez lui… »

Jésus est fatigué, Il s’assoit sur la margelle, Il s’assoit sur la terre, Il est fatigué. Remarquons que, dans l’Évangile, le terme employé par Jean est le même que celui qu’il emploiera à la fin du discours au sujet de la moisson : c’est donc cette lourde fatigue du labour. On peut même retourner l’expression et dire que Jésus est ‘labouré’ ! Il est fatigué, comme labouré par le labeur de l’Incarnation, par la peine de cet immense voyage chez l’homme…

En lui disant : « Donne-moi à boire », c’est comme s’Il lui disait : j’ai besoin de toi ! Oui, d’une certaine manière, Jésus a besoin de nous, Jésus a besoin de nous parce qu’Il respecte notre liberté. Il ne veut pas imposer Sa source vivifiante. Il veut que nous agissions en êtres libres. Il veut que nous découvrions nous-mêmes notre soif de vivre, notre soif d’aimer.

« Seigneur, donne-moi de cette eau. »

D’où ce passage sur les maris. Pourquoi Jésus demande-t-il tout à coup : « Va chercher ton mari » ? Pour remettre la Samaritaine en face d’elle-même, dans sa vie concrète, quotidienne. Comme vous, comme moi. Il ne s’agit pas de sauver un être éthéré, abstrait, qui vit dans les nuages. Il s’agit de me mettre face à moi-même dans mon quotidien, de prendre conscience que je suis assoiffé et que je n’arrive pas à trouver la bonne réponse, ou, de manière imagée, que je change cinq fois de mari, que je cours après le bien comme je viens remplir ma cruche tous les jours, pour être désaltéré, sans jamais être comblé…

Et pourtant, j’ai un cœur. Cette femme a un cœur, elle est faite pour aimer ; elle a soif. Et Jésus veut lui faire prendre conscience par elle-même de sa soif intérieure non étanchée, de ses manques… Il ne la juge pas. Il ne parle même pas de condamnation comme pour la femme adultère. Il dit : « Tu fais bien de me dire que tu n’as pas de mari. »

La voici bouleversée ! Bouleversée parce que Jésus a découvert quelque chose de caché dans sa vie, mais bouleversée surtout parce qu’elle s’aperçoit qu’effectivement elle court après quelque chose qu’elle n’atteindra jamais : elle n’a pas trouvé la clé du bonheur, elle n’a pas encore trouvé l’eau vive véritable qui étanche à jamais…

Et voilà que Jésus lui dit « Moi, je suis la source d’eau vive jaillissant en vie éternelle. Celui qui boit de ma source n’aura plus jamais soif. … Seigneur, donne-moi de cette eau ! »

« Je le suis, moi qui te parle. »

On ne sait point trop ce qu’elle comprend du message. Mais ce qui est sûr, c’est que cette femme attendait le Messie.

C’est une leçon d’humilité pour nous. Notre attitude dans ce Carême doit être une attitude d’humilité : il nous faut, nous aussi, attendre Jésus comme cette femme le Messie, avec les mêmes fragilités : péché du cœur ou de l’esprit.

Il faut être en attitude d’attente. « Je sais qu’il doit venir celui qui nous dévoilera tout », Celui qui m’expliquera ce pour quoi je suis faite, dit-elle. Oui, Il viendra Celui qui m’expliquera comment me construire, m’épanouir, comment donner à ce cœur, qui est en moi et qui bat, la nourriture qui le rassasiera, l’eau qui le rafraîchira, même si je suis pécheur, même si je ne suis pas très ajusté théologiquement dans le regard que je porte sur l’Église, sur les prêtres, sur l’Eucharistie, sur la Parole de Dieu. Encore une fois on ne sait pas trop ce que la Samaritaine percevait du discours de Jésus : c’est toujours l’équivoque johannique entre le naturel et le surnaturel. N’empêche qu’elle demande : « Donne-moi à boire de cette eau ! »

Et c’est parce qu’elle découvre que le Cœur du Christ est une source jaillissante en Vie Éternelle, qu’elle adhère à cette révélation de Jésus, que Jésus va lui révéler Sa messianité. Il lui fait ce cadeau extraordinaire : « Je le suis, moi qui te parle. »

« Il m’a dit tout de moi ! »

Imaginons un peu que Jésus nous ait fait à nous aussi cette révélation. Comment aurions-nous réagi ? Elle, elle perd ses esprits : elle laisse sa cruche, ce pour quoi elle est venue ! Elle n’en a plus rien à faire ! Elle se précipite, elle va voir ses amis, les Samaritains : venez, venez… Comme André le fit avec Pierre : « Je crois que j’ai trouvé le Messie, Il m’a dit tout de moi ! »

Il m’a dévoilée… Lorsqu’on vous dévoile, lorsque le prêtre vous dévoile, lorsque vous vous dévoilez à vous-même, vous êtes vexés. Nous ne voulons pas nous dévoiler à nous-mêmes nos misères, nos fragilités. Pourtant, ici il ne s’agit même pas de péchés. Encore une fois, Jésus ne parle pas de péché avec cette femme, Il lui dévoile seulement cet état de dépendance propre à la race humaine : « Moi, je suis la source… » Toi, tu es la terre… Comme dit le psalmiste : « Assoiffée et sans eau. » Moi Je suis la source et Je viens pour te désaltérer…

« Celui qui boit de cette eau n’aura plus jamais soif… »

Nous n’acceptons pas cette dépendance, nous n’acceptons même pas de dépendre d’un prêtre, de l’Église, d’un père, d’un enfant, d’une mère, d’une communauté… C’est là la faute ! Si nous n’acceptons pas de dépendre de la source représentée par notre père, par notre Évêque, par n’importe quelle autorité mise en place par Dieu, nous n’acceptons pas le Cœur de Jésus, nous n’acceptons pas l’eau jaillissante en Vie Éternelle !

Alors, nous n’entrons pas non plus dans cette économie du Salut qui nous fait partir en ce dimanche de la Samaritaine pour nous faire marcher, éclairés avec le dimanche de l’aveugle-né, pour arriver au dimanche de la résurrection de Lazare, prêts à ce moment à nous unir aux derniers jours de Jésus pour mourir avec Lui afin de ressusciter avec Lui.

Voilà le message d’aujourd’hui. Réfléchissons un peu. La solution est si simple ! Nous ne sommes pas pires que la Samaritaine : nous sommes comme elle, faibles, fragiles, en un mot, humains. Et nous avons soif.

Nous avons soif de bonheur pour nous, nous avons soif de bonheur pour nos enfants, nous avons soif de bonheur pour notre conjoint, nous avons soif de bonheur pour notre ville, pour notre pays, pour ceux qui sont dans la misère… Nous l’avons cette soif au fond de notre cœur : nous voulons être heureux et partager cette joie avec tous !

Et Il est là. Il vient nous présenter l’eau de la Vie éternelle : « Celui qui boit de cette eau n’aura plus jamais soif… »

Alors, approchons-nous de cette source et désaltérons notre soif de joie, de paix, de justice. Nous entrerons du même coup dans l’éternité portée par cette eau du Ciel jusqu’à notre terre…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

Retrouvez la lectiodivina quotidienne (#twittomelie, #TrekCiel) sur tweet : @mgrjmlegall