Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« CHRÉTIEN, AUJOURD’HUI IL FAUT QUE JE VIENNE CHEZ TOI ! »

Lectio divina pour le 31ème Dimanche Ordinaire Année C
Sag 11, 23-12, 2 2Thess. 1, 11- 2, 2 Lc. 19, 1-10

Les multiples conflits qui blessent l’humanité viennent malheureusement nous rappeler que la vie humaine est une marche incessante vers des biens que celle-ci recherche et, pour nous chrétiens, vers des biens que Dieu nous promet. Et nous savons bien qu’il y a une identité substantielle entre ce que l’homme recherche au fond de lui -la paix- et ce que Dieu promet à Ses enfants c’est à dire la paix éternelle.

 

 

« Il passait et faisait le bien. »

L’humanité, nous-mêmes, croyants, sommes des marcheurs appelés à quitter quelque chose pour nous rendre autre part, appelés, comme le peuple hébreu dans l’Ancien Testament et comme l’Eglise depuis Jésus-Christ, à être un peuple en marche, en pèlerinage : finalement un peuple qui retrouve ses racines religieuses, un peuple sémite, un peuple nomade.

Et qui dit sémite, qui dit nomade, dit pauvre étranger, sur une terre de passage, instable, appelé à se construire, à se développer. Des notions qui furent fondamentales pour la vie du peuple hébreu, en particulier pendant son temps d’Exode, et des notions qui sont restées fondamentales et sont rappelées par Jésus, l’homme qui « passait sur les routes », pour ceux qui veulent bien marcher à Sa suite.

Nous pourrions nous poser la question aujourd’hui de savoir où en est notre esprit de pauvreté, notre esprit de nomade, de pèlerin, par rapport à toute la structure de notre vie qui en soi, en elle-même n’est pas mauvaise, mais qui peut le devenir dans la mesure où elle nous pousse à une installation, comme de bons chanoines dans leurs stalles…

« Celui qui croit, même s’il meurt, vivra… »

Quitter quelque chose, se rapprocher d’une autre chose, c’est quitter quoi, se rapprocher de quoi ?

Dans le temps : s’éloigner de sa naissance et se rapprocher de la mort. On est tous obligés de passer par là.

Dans l’éthique, c’est-à-dire dans le regard de la conscience de ce même personnage qui naît pour mourir, au contraire, c’est s’éloigner de la mort, du vieil homme et s’approcher de la naissance à la Vie éternelle. Un mouvement contraire donc, qui se situe à un autre niveau.

Le dessein de Dieu n’a pu être que celui-ci : nous donner la vie pour nous permettre d’entrer librement, et j’insiste sur ce mot, entrer librement dans la Vie éternelle qu’Il nous propose. Souvent on se demande pourquoi Dieu a créé le monde de cette manière-là avec un homme pouvant pécher et effectivement ayant péché, avec toutes les misères, les conséquences que nous connaissons. Parce que Dieu a voulu un homme à Son image, libre ! Pour qu’il puisse poser un acte d’amour libre !…

« Pour que la gloire du Christ soit en moi et que ma gloire soit en Lui. »

Donc le dessein de Dieu consiste à nous donner la vie pour que nous fassions entrer l’ordre éthique dans l’ordre du temps, que nous nous servions de notre temps pour y insérer notre éthique.

Quand je dis « notre » ce n’est pas notre éthique personnelle c’est notre éthique d’homme, ce pour quoi un homme créé à l’image de Dieu est fait.

En somme notre vie est à la fois l’appel que Dieu nous lance à Le rejoindre, et la réponse à cet appel. Pour reprendre la formule fabuleuse de saint Paul : « Pour que la gloire du Christ soit en moi et que ma gloire soit en Lui. » Comme la communion que les époux connaissent dans le sacrement du mariage ; la gloire étant la connaissance intime et amoureuse, intérieure, et non pas la gloire humaine de l’orgueil.

La vie est donc cet appel que Dieu nous lance et le moyen que j’ai moi homme, fils de Dieu, créature, de répondre à cet appel, pour Le rejoindre. Donc d’inscrire mon éthique d’enfant de Dieu dans le temps que Dieu me présente depuis ma naissance.

« Zachée, aujourd’hui il faut que je descende chez toi. »

Zachée a entendu cet appel. Nous avons là un des passages les plus beaux de l’Evangile, un des plus frais, surtout quand on situe cet épisode dans son contexte géographique ! Jéricho qui est la ville la plus basse (400 mètres en dessous du niveau de la mer) et la plus chaude au monde. Et cet épisode est si frais…

Zachée est un homme curieux : il veut voir Jésus, on ne sait pas trop pourquoi. Et, comme il est de petite taille (il se sait petit à ce niveau-là), il n’a pas honte de grimper sur un sycomore que l’on voit d’ailleurs encore à Jéricho quand on visite la ville. Un sycomore, un arbre magnifique, grandiose, énorme, comme un immense chêne chez nous…

Donc Zachée entend l’appel : « Zachée, aujourd’hui il faut que je descende chez toi. » Zachée entend l’appel parce qu’il a été attentif, parce qu’il a été curieux, parce qu’il a été en recherche.

Cela veut dire pour nous que l’appel que Dieu nous lance dans notre vie est un appel qui passe par le Christ. Et la réponse que nous donnons à cet appel de Dieu n’est pas n’importe quelle réponse : c’est une réponse au Christ. Dieu m’appelle par le Christ et je réponds par le Christ. « Le Christ est l’unique médiateur entre Dieu et les hommes », c’est pourquoi : « Nul ne va au Père que par Lui. »

Reconnaissons que les voies de Dieu sont non seulement impénétrables mais qu’elles sont très souvent brisées. Mais le passage obligé reste le Christ.

« Nul ne va au Père que par moi. »

Et c’est parce que le passage reste le Christ que, finalement, la durée et la richesse de ma vie humaine, sa forme, sa structure, n’ont aucune importance. Aucune ! Vous pouvez être saint en étant riche, vous pouvez être saint en étant pauvre, vous pouvez être saint en étant en bonne santé, vous pouvez être saint en étant malade, vous pouvez être saint en étant jeune, vieux, que sais-je… Puisque c’est le Christ qui est la Voie, le passage, la porte dira-t-Il de Lui-même dans le discours du Bon Pasteur !

Le principal est de faire comme Zachée c’est-à-dire de répondre vite : « Vite il descendit pour aller l’accueillir chez lui. »

« Opportet… »

Oui, il nous faut répondre vite à l’appel que lance le Christ et qui n’est pas n’importe quel appel. Saint Luc emploie dans ce passage un terme très particulier que saint Paul emploiera aussi dans une épître et que le Christ emploiera dans un autre passage de Luc : « il faut. » Nous nous souvenons des pèlerins d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Fils de l’homme souffrît pour entrer dans sa gloire ? » Et saint Paul dira : « Il faut que nous nous glorifiions dans la Croix de Jésus… »

Ce « opportet », cette locution « il faut », exprime la nécessité de l’étreinte du Cœur de Dieu comme nous le rappelle la première Lecture. Ce n’est pas une nécessité métaphysique, c’est la nécessité de l’étreinte du Cœur de Dieu qui a créé l’homme pour que l’homme soit heureux, qui a créé l’homme par amour pour l’homme et qui passe Son éternité à parler à l’homme, à le redresser, à le relever pour l’éloigner du mal et pour qu’il marche vers Lui.

Jésus ne dit pas : ce serait bien Zachée si je descendais chez toi. Jésus est un exclusif car Il représente le Dieu jaloux d’amour : « Il faut que je descende chez toi ». Opportet, mot qui rappelle donc la Passion comme on le voit avec les disciples d’Emmaüs, cette passion (d’amour) de Dieu pour l’homme qui va entraîner la Passion (douloureuse) du Christ.

« Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! »

Donc Zachée répond vite et c’est là le nœud de l’histoire comme le nœud de notre vie spirituelle : il faut répondre vite parce qu’en répondant au Christ on transforme chaque minute de notre vie qui devient une minute de la vie de Jésus !

On fait en sorte qu’avec Jésus nous vivions chaque minute de notre vie comme Jésus a vécu chaque minute de la Sienne, c’est-à-dire en voyant Sa Vie à Lui, comme l’appel de Son Père pour le salut du monde, comme la Volonté aimante de Son Père pour le propre salut de Jésus : « Que ta volonté soit faite, non pas la mienne. »

Je transforme ainsi chaque minute de ma vie en l’adhésion que Jésus a donnée de la Sienne à Son Père ! Rendez-vous compte du mystère théologique, de cette puissance (due à mon Baptême qui me conforme au Christ, dans la foi, par l’Esprit Saint) : je transforme chaque minute de ma vie à moi en une minute de la vie de Jésus qui, Lui, voit Sa Vie comme un don de Dieu qu’Il veut Lui retourner en Lui dédiant cette Vie reçue !

« Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père. »

Or, malheureusement, je ne vois pas toujours ma vie comme un don de Dieu, comme une volonté aimante de Dieu, que Dieu me présente à travers les obligations (terme réducteur de notre morale humaine, mais il n’y en a point d’autre) de mon état : mon état de prêtre, mon état d’homme marié, mon état de mère de famille, mon état professionnel… les obligations de mon état et les réalités plus ou moins dures de ma vie.

Or il nous faut justement les voir comme le Christ a vu Sa vie : expression de l’heure du Père. Souvenons-nous : « Mon heure n’est pas encore venue… » : c’est l’heure du Père…

Jésus n’est pas allé tout seul au combat. Jésus n’y est pas allé comme un surhomme libéré des états de notre nature humaine. Jésus y est allé parce qu’Il sait que Sa « nourriture est de faire la volonté du Père ». Il sait que Sa Vie est la Volonté aimante de Dieu pour Son propre salut à Lui, Jésus, Fils de la Vierge Marie, et pour le salut de l’humanité par Lui, Jésus, Fils de Dieu.

« Je suis venu pour accomplir la Loi »

Et dans la mesure où, répondant comme Zachée, j’accueille Jésus dans ma vie pour que ma vie soit en Lui, pour que ma minute soit la Sienne ou que Sa minute soit la mienne, alors j’accomplis, par cette puissance dont parle Paul, cette puissance que Dieu me donne, cette grâce qui est, en fait, la présence du Christ en moi : j’accueille donc l’Esprit de Jésus.

Et par cette grâce qui n’est autre que la Présence de l’Esprit, j’accomplis cette minute comme Jésus l’a accomplie : « Je suis venu pour accomplir la Loi », minute par minute, iota par iota.

J’accomplis parfaitement chaque minute de ma vie avec la perfection de Jésus.

Quelquefois, je refuse cette perfection de Jésus et je redeviens Zachée dans sa première vie : jusqu’au moment où, me rendant au sacrement de la Réconciliation, je deviens à nouveau Zachée dans la deuxième part de sa vie. Et je vais comme ça de chute en relèvement, de relèvement en chute, en progressant.

« Je rends tout l’argent que j’ai volé ! »

Mais à chaque fois que je suis en face du Christ, que ce soit comme Zachée avant ou comme Zachée après, je suis déjà Zachée : et le salut arrive dans mon âme, même si je suis pécheur, car je suis comme Zachée c’est-à-dire devant et à l’écoute de Jésus, recevant Jésus.

Avant même que Zachée ne dise au Christ : « Je rends, je rends tout l’argent que j’ai volé », le salut est déjà dans sa maison parce que le Christ est déjà sous le toit de Zachée. Avant même que nous nous rendions au confessionnal, dès qu’ayant fait une faute, nous avons la conscience de ce dérapage, le Christ est en nous.

Le Christ est en nous et c’est Lui-même par Sa grâce qui va nous mener au sacrement de Réconciliation pour assurer ce relèvement. Non pas par notre psychologie, mais par la grâce du sacrement.

Comme est magnifique cette histoire de Zachée ! C’est comme cela que le salut arrive dans cette maison, dans cette vie, encore une fois quelle que soit la vie, qu’elle soit brève ou longue, peu importe… Ce n’est pas ma vie qui quantifie ma sainteté, c’est la présence du Christ dans chaque minute de ma vie qui me fait voir cette vie comme Jésus a vu la Sienne, qui me fait accomplir cette vie comme Jésus a accompli la Sienne et qui me la fait accomplir en Lui.

C’est la grâce que nous pourrons demander en ce 31ème Dimanche Ordinaire.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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