Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« NE CRAIGNEZ-PAS ! LO TEDHAL ! »

Lectio divina pour le 2ème Dimanche de Carême Année A
Gn.12, 1-4 2Tim.1, 8-10 Mt.17, 1-9

Le deuxième dimanche de Carême est traditionnellement consacré à cet évènement capital dans la vie de Jésus qu’est la Transfiguration. Cet évènement, c’est surtout sensible chez Saint Luc, divise le ministère public de Jésus en deux parties : la partie galiléenne et la partie hiérosolymitaine (c’est-à-dire de Jérusalem), puisque la Transfiguration est un évènement qui se situe lorsque Jésus « descend » de Galilée pour « monter » vivre Sa Passion au Temple. Et cet évènement de la Transfiguration n’est pas facile à comprendre. Quelle attitude doit-être la nôtre en face de cet évènement extraordinaire, miraculeux, signe précurseur de la Résurrection du Seigneur ? À quoi devons-nous nous attacher sur cet épisode : à Moïse, à Elie, aux signes, à la voix de Dieu, au fait lumineux du Christ ?

Que ta Parole soit les vivres dont notre foi a besoin !

La Collecte de cette Messe est là pour centrer notre réflexion spirituelle, pour lui donner la direction juste. C’est là son rôle à ne pas oublier pour comprendre l’enseignement spirituel de toute Liturgie eucharistique.

Nous y avons demandé au Seigneur que Sa « Parole soit les vivres dont notre foi a besoin, afin qu’ayant un regard purifié, nous puissions contempler la Gloire du Seigneur. » Autrement dit, nous demandons au Christ de nous faire comprendre que ce qui suscite notre foi, ce qui la nourrit, c’est-à-dire ce qui la développe, c’est la Parole de Dieu, et non pas les signes miraculeux.

Lorsque nous lisons l’Évangile et que nous regardons la vie de Jésus, nous nous apercevons que le signe accompagne la Parole, que le miracle développe, figure, certifie, approuve l’enseignement du Seigneur, mais ce n’est pas la Parole qui accompagne le signe.

Entre le signe et la Parole la primauté revient à la Parole ; et ce qui est essentiel dans le signe, c’est le message qu’il contient, c’est-à-dire la Parole. « Va, tes péchés te sont remis… » : voilà la finale d’un épisode, beaucoup plus importante que le miracle du paralysé qui y est décrit.

Nous ne devons pas faire comme les Juifs du temps de Jésus et inverser le processus en demandant un signe : « Quel signe fais-tu pour que nous croyons en toi ? »

Et Jésus de répondre : « De signe il ne vous en sera donné aucun, si ce n’est le signe de Jonas. » C’est-à-dire la Résurrection (dont le Christ parle dans cet épisode). Or la Résurrection, qui est le sommet signifiant de tout l’évangile, n’est pas un signe au sens où les Juifs l’entendent, au sens de la preuve que nous demandons souvent au Seigneur. La Résurrection ne prouve rien du tout, la Résurrection est un acte qui dépasse l’Histoire, qui survole l’Histoire, ce n’est pas une preuve !

La foi est l’adhésion au visage de Dieu qui se découvre à travers la Parole.

Donc, nous devons bien faire attention de ne pas nous attacher aux signes, de bien comprendre ce qu’est la foi. Justement donc, qu’est-ce que la foi, cette foi qui s’appuie sur la Parole ?

Et donc qu’est-ce que la Parole de Dieu ?

La Parole de Dieu, c’est Dieu qui se découvre, c’est Dieu qui se dévoile. Et la foi est l’adhésion à ce dévoilement de Dieu, Dieu qui se dit ; la foi est l’adhésion au visage de Dieu qui se découvre à travers le message.

Lorsque nous entendons la voix de quelqu’un, nous percevons déjà un petit peu son visage : il y a des voix dures, il y a des voix douces, il y a des voix rondes, il y a des voix aiguës, perçantes. Lorsque j’entends me dire : « Dieu est amour », je contemple déjà ce visage de Dieu, j’imagine, je me figure le visage de Dieu. C’est cela la foi.

La foi, c’est la contemplation, la foi, c’est un ‘aller-vers’ cette trans-figuration de Dieu, c’est-à-dire ce dévoilage que Dieu fait, traversant l’Inaccessible qui est Sa nature, pour venir vers l’homme. Trans-figuration : Il traverse ce nuage de l’inconnaissance représentée par cette nuée de la Transfiguration.

Dieu est l’Inaccessible, le Transcendant, le Tout-Autre. Et voilà que Dieu trans-perce, traverse pour donner Sa figure, pour Se dévoiler, à travers le Christ, c’est-à-dire Sa Parole !

« Abraham, Abraham… Oui, Seigneur… »

La foi, c’est cette contemplation, cet ‘entrer-dedans’ la monstration de Dieu, la démonstration de Dieu qui s’opère à travers Sa Parole, plus particulièrement le Verbe, la Parole incarnée.

Regardons l’exemple d’Abraham, notre père dans la foi, celui qui fut sauvé parce qu’il a cru. La vocation d’Abraham est d’entendre la Parole de Dieu : « Abraham, Abraham… Oui, Seigneur… »  Le « quitte ton pays », le départ vers la Terre Promise est secondaire. C’est d’abord « Abraham, Abraham… Oui, Seigneur… », l’écoute et l’adhésion à cette découverte que Dieu fait de Lui-même, à cette trans-figuration de Dieu.

Regardons la vocation des apôtres : avant d’être Pierre, Paul, Jacques, Jean, évangéliste ou pasteur, docteur ou prophète, ils sont appelés par le Père à écouter la Parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez le… »

Regardons le message de dimanche dernier : quelle est la réponse du Christ à Satan ? « L’homme ne se nourrit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez le… »

Alors, la première question que je peux me poser en ce Carême 2020 est celle-ci : Quelle est ma proximité à la Parole de Dieu ? Quel est le sérieux de ma lecture évangélique quotidienne ?

Avec quelle faim je m’avance vers la Liturgie dominicale, en préparant mon évangile, en préparant mes textes ?

Quel est le temps que je prends après le dimanche pour méditer, si ce n’est sur l’homélie au moins sur les lectures, sur cette Liturgie de la Parole de Dieu qui nous est servie comme à une table avant la table de l’Eucharistie, table de la Parole par laquelle Dieu se trans-figure et se dévoile pour mieux nous faire goûter ensuite la Réalité de Son Corps ?

« Qui me voit, voit le Père… »

Cette Transfiguration, qui nous est donnée en méditation aujourd’hui, elle est, si l’on peut dire, la focalisation, la concentration en un point fondamental de toute la trans-figuration de Dieu dans l’évangile.

« Jésus s’est manifesté… », nous rappelle la lecture de Saint Paul. Jésus-Christ vient dévoiler, vient trans-figurer, c’est-à-dire montrer la figure de Dieu, Lui faire traverser ce nuage de l’inaccessible pour nous Le rendre présent, pour nous Le rendre sensible, pour nous Le rendre palpable.

Cette Transfiguration de Jésus au Mont Thabor est donc la concentration de l’acte évangélique qui est trans-figuration de Dieu par et en Jésus-Christ.

Il y a donc une identité de nature, de principe entre cette Transfiguration dont nous venons d’entendre aujourd’hui le récit et tout l’évangile qui est transfiguration de Dieu en Jésus-Christ. Il y a identité de nature et de principe.

« Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là ! »

Qu’est-ce que j’en déduis ?

En regardant la Transfiguration d’aujourd’hui, la Transfiguration du Mont Thabor, je peux constater que Dieu se transfigure devant les intimes : oui, Dieu a Ses préférés ! Dieu a trois préférés en Jésus : Pierre, Jacques et Jean.

Donc la transfiguration de Dieu en Jésus-Christ qui se réalise tout au long de l’évangile, relève elle aussi de cette même nature et de ce même principe, c’est-à-dire que Dieu se découvre à celui qui a faim, à celui qui cherche, à celui qui accepte d’être nourri, à celui qui accepte d’adhérer, à celui qui accepte d’avoir la foi.

Jésus ne découvre pas Son Père pour simple motif de curiosité. Souvenons-nous de l’épisode d’Hérode. Hérode le malin, Hérode le curieux, Hérode le mondain -comme nous ! -, qui fait venir Jésus comme il a fait venir le Baptiste, pour voir les signes fabuleux de cet homme, de ce rabbi ! Résultat : Jésus ne fait rien. Jésus ne dit rien…

Dieu ne se découvre qu’à ceux qui Le cherchent.

Donc, si la foi se nourrit de la Parole de Dieu qui nous découvre Dieu, il faut aussi se souvenir que Dieu ne se découvre qu’à ceux qui désirent la foi.

« Ne craignez-pas ! »

C’est très important dans notre vie spirituelle. Combien de fois dans notre relation à Dieu, nous plaignons-nous de ne rien entendre de Dieu dans l’oraison, de ne rien comprendre de Dieu à la Messe, de ne rien comprendre de Dieu dans l’homélie, de ne rien comprendre de Dieu dans la lecture de Saint Paul, de ne rien comprendre de la discipline de l’Église sur tel ou tel point de la morale, sur tel ou tel point du dogme, de nous sentir, finalement, totalement marginalisés !

Pourquoi ? Tout simplement parce que nous n’avons pas le désir de Dieu !

Nous Le cherchons du bout des lèvres, nous Le cherchons du bout des doigts, nous Le cherchons l’œil à moitié fermé.

Nous craignons finalement que Dieu nous appelle, nous craignons d’entendre notre vocation profonde : « Viens, suis-moi… Quitte ton pays… » Donne-toi… Convertis-toi… Change ton cœur… Oh que nous avons peur ! Lorsque nous faisons notre oraison, lorsque nous participons à l’Eucharistie, nous y venons sur la pointe des pieds, déjà le cœur frileux, l’âme craintive : Seigneur surtout pas moi !

Mais Jésus répond aux apôtres : « Ne craignez-pas ! » Lo tedhal ! Comme s’est exclamé Jésus en araméen. N’ayez pas peur ! Cherchez Dieu pour qu’Il se découvre à vous !

Lo tedhal !

Prenons donc ceci comme résolution de Carême :

-Nous approcher de Sa Parole pour nourrir et développer notre foi.

-Et le faire du fond du cœur, avec une grande faim !

Non pas à reculons, non pas sur la pointe des pieds, non pas avec cette parcimonie bourgeoise qui nous caractérise, ce misérabilisme spirituel qui nous est propre (une petite prière ! Mais non, il n’y a rien de petit pour Dieu !)

Ne craignons pas… Nous savons que Dieu se découvrira à nous et nous découvrira à nous-mêmes. Dieu résoudra notre problème de vie, Dieu indiquera la direction de notre âme, de notre cœur, de notre esprit, si nous désirons qu’Il Se découvre à nous et si nous Le laissons se trans-figurer en notre cœur.

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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