Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« ILS DEMEURERENT AVEC LUI CE JOUR-LA… »

Lectio divina pour le 2ème Dimanche ordinaire – Année B

1Sam.3, 3-19 1Cor. 6, 13-20 Jn. 1, 35-42

Il nous faut admirer l’admirable pédagogie de l’Eglise qui s’exprime à travers sa Liturgie. On se souvient qu’il y a huit jours, pour l’Epiphanie, nous avions contemplé l’épisode des Rois Mages venus adorer le Seigneur, l’Enfant-Dieu, répondant ainsi à un appel intérieur. Cette rencontre  des Mages avec Jésus était en quelque sorte la préparation, la figure d’une autre rencontre, racontée par Jean et que l’Eglise nous donne à méditer dans l’évangile d’aujourd’hui : celle des deux premiers disciples de Jésus. Que peut-on dire : simple hasard ou développement voulu d’un enseignement ?

« Faites tout ce qu’Il vous dira… »

Profitons de cette évidente continuité pour insister, en ce début d’année, sur l’ordre architectonique du cycle liturgique des Messes dominicales et donc des lectures de la Parole de Dieu.

Elles ne viennent pas comme ça, par hasard, ou comme fruit du choix arbitraire d’un Bureau du Vatican ! Il y a une progression parce qu’il y a un enseignement. Il y a une ratio, une raison, un sens qu’il nous faut toujours essayer de saisir pour bien comprendre l’enseignement qui se dessine au fil de nos années liturgiques. Comprendre, c’est à dire ‘prendre avec nous’, non seulement par l’esprit, mais par le cœur en y communiant afin d’incarner en nous cette Révélation.

« Venez et voyez… »

Ce rapprochement entre la rencontre de Jésus avec Jean et André d’une part et avec les Mages d’autre part, grâce au dénominateur commun à ces deux évènements qu’est l’appel que Dieu adresse à tous les hommes (les Mages il y a une semaine et ce dimanche les deux disciples du Baptiste), nous signifie que ce Deuxième Dimanche Ordinaire, consacré à recadrer notre Messe dominicale, doit être perçu à la lumière de cet appel de Dieu vers l’homme et particulièrement de celui qu’Il lance au baptisé pour que celui-ci participe à la rencontre eucharistique dominicale.

Ce dimanche en effet veut resituer notre messe dominicale. Nous nous en apercevons en regardant les trois prières qui sont l’ossature de la Messe : la Collecte où il est justement question de « la prière du peuple », puis la Prière sur les offrandes juste avant la Préface où l’on rappelle ce qu’est le Sacrifice eucharistique et enfin la Prière après la communion qui conclut notre rassemblement (par Dieu) en nous rappelant le fruit de ce sacrement : « le lien dans la charité. »

Il nous faut donc lire ces trois textes précis par lesquels l’Eglise nous rappelle ce qu’est notre rassemblement dominical à la lumière de la convocation (c’est le sens du mot ecclesia) lancée par Dieu à tous les hommes représentés hier par les Mages, et aujourd’hui par les deux premiers apôtres. Autrement dit notre présence à la Messe ne peut être vécue comme une obligation, mais comme une réponse à un appel divin : « Venez et voyez… »

« Parle Seigneur… »

La première Lecture relatant la vocation de Samuel est un récit qui symbolise cet enseignement. Samuel croit être appelé par le prêtre Eli parce que, nous précise l’Ecriture, « il ne connaît pas le Seigneur. » C’est un jeune enfant qui n’a pas encore l’expérience explicite d’une relation personnelle avec Dieu. Il pense donc tout naturellement que c’est un homme, le prêtre Eli qui l’appelle.

Mais nous qui sommes des adultes dans la foi, ne sommes-nous pas trop souvent comme ce jeune Samuel ? Est-ce que nous ne pensons pas que c’est le prêtre, c’est à dire l’Eglise dans sa discipline, qui nous oblige à venir à la Messe ? Obligation dominicale qui se traduit par d’autres paramètres : l’éducation, le qu’en dira-t-on… Si je ne vais pas à la Messe, que dira-t-on de moi ? Et de toute façon, on a toujours fait ainsi dans ma famille…

Il y a bien pour nous tous, ce caractère plus ou moins obligatoire de l’Eucharistie dominicale… Contrainte que nous essayons d’ailleurs, la paresse des curés aidant, d’éliminer autant que possible : Messe du samedi soir pour être « libres » le dimanche, Messe la plus courte possible, afin d’être « débarrassés »… Ce qui veut bien dire qu’en chacun d’entre nous il y a cette approche disciplinaire de la Messe parce que nous ne connaissons pas le Seigneur, comme Samuel !

Nous devrions Le connaître et nous ne Le connaissons pas ! Nous Le prenons pour un pharaon quelconque qui oblige ses sujets à venir lui rendre hommage ! Si nous connaissions le Seigneur, comme Jésus essaye de nous Le révéler, et si nous comprenions que c’est le Seigneur qui nous appelle, notre attitude, notre réponse, notre présence à l’Eucharistie du dimanche serait, comme chez Samuel, totalement différente ! Samuel change du tout au tout à partir du moment où Eli lui dit ce qu’il faut faire : « Parle Seigneur… »

« Ils le reconnurent à la fraction du pain… »

Que nous aimerions que chaque baptisé vienne à l’Eucharistie en disant : Parle Seigneur, nous T’écoutons ! Parle par Ton Eglise ! Parle par Ton prêtre , par Ton diacre, par Ta Parole, par Ton sacrement ! Nous sommes là, nous sommes tout à Toi, nous Te consacrons notre dimanche matin… Que de richesses ne recevrions-nous pas si nous avions cette attitude : « Parle Seigneur… » !

Cette voix du Seigneur qui nous appelle et qu’il nous faut essayer d’entendre n’est pas autre chose que la voix qui nous appelle à toute rencontre dans notre vie avec Dieu ! La rencontre dans la prière ; la rencontre dans l’acte de charité… Dans ces deux cas précis, l’adoration et le service, notre expérience personnelle (vécue réellement au fond de notre cœur), nous la fait entendre et nous indique clairement quand et comment il faut répondre : toujours et à fond car notre cœur de baptisé réclame l’oxygène qu’est la prière et souffre de la peine des autres !

Alors pourquoi en exclure la Messe qui est le cœur de la prière (la Collecte), et qui est le cœur de la charité, (la Postcommunion) ?

Car toute prière est assumée et accomplie en perfection dans la Messe qui est la prière du Christ, comme toute charité est accomplie, assumée et déborde de la Messe qui est l’Acte d’amour par excellence. Pourquoi donc aurions-nous ce regard différent pour la rencontre du Christ à la Messe par rapport à la rencontre du Christ dans mon oraison personnelle ou par rapport à la rencontre du Christ dans le frère qui m’appelle ?

« Ils se mirent à sa suite… »

Oui le Christ nous appelle. Mais comment ?

Le Christ vient et se fait proche de nous comme Il s’est fait proche de Samuel : « Le Seigneur se fit proche de lui. » Mieux, Il vient en se mettant face à nous comme il est précisé dans l’Evangile : « Jésus voyant qu’ils le suivaient, se retourna » et donc se mit face à eux.

Le Seigneur nous appelle en se faisant tel que nous ne pouvons pas ne pas Le voir ou ne pas L’entendre, si nous sommes en disponibilité, en attente, comme Samuel prévenu par Eli que c’est Yahvé qui l’appelle, et comme Jean et André, disciples du Baptiste et formés par lui dans l’attente du Messie. C’est cette formation à l’attente qui va permettre aux deux disciples de suivre tout de suite le Maître : « Ils se mirent à sa suite. »

Mater et Magistra…

Parce que blessée par notre péché, notre attitude d’attente et de disponibilité à Dieu n’est pas suffisante. Elle a besoin d’être développée par cette Mère et éducatrice qui est l’Eglise, le Peuple de Dieu, car tout chrétien peut effectivement nous apprendre à être en attente de « Celui qui va venir. » D’où cette transformation du jeune Samuel qui, une fois prévenu, est effectivement disponible au Seigneur.

Notons que cette attente, cette disponibilité est un état qui doit être totalement intégré dans notre vie : « Retourne te coucher. » Nous, nous pensons toujours que nous allons rencontrer le Seigneur lorsque nous posons un acte spirituel extraordinaire, une adoration de nuit, un pèlerinage, une retraite… Eh bien justement ce n’est en général pas là qu’Il se montre : Il se cache ! Il se fait désirer comme dans le Cantique des Cantiques pour que nous partions à Sa recherche dans le courant du quotidien… C’est dans cette disponibilité totalement intégrée dans ma vie de tous les jours, que le Seigneur va venir.

« Maître, où demeures-tu ? »

Nous devons donc en conclure que si le Seigneur est toujours présent dans notre vie, Il ne se manifeste, Il ne se révèle, Il ne devient Parole, vision intérieure, qu’en fonction de mon attente, de ma disponibilité, de mon désir. Aussi, si nous venons à la Messe sans cette attente, sans être assoiffés de Le rencontrer, la Messe va nous ennuyer ; nous n’y rencontrerons pas le Maître, l’Ami, l’Epoux…

Il faut le dire : ce n’est pas seulement les chants et l’orgue, le prêtre, l’église et le froid, non, c’est intérieurement que nous sommes incapables d’accueillir la rencontre, parce que nous ne sommes pas là, même si physiquement nous sommes présents !

Alors les lectures sont incompréhensibles, les homélies trop longues, (puisqu’elles expliquent quelque chose que nous n’avons ni entendu ni compris)… Alors nous ne voyons pas le Seigneur dans l’Hostie et nos Eucharisties sont tièdes… Nous recommençons donc à faire les mêmes péchés dans une vie au christianisme on ne peut plus tiédasse. On est là. 40 ans avant on était déjà là ; on y sera encore dans 40 ans, strictement identiques, à part les rides du cœur qui envahiront le visage…

« Ils demeurèrent avec lui. »

Pour sortir de ce drame que nous vivons sans même nous en apercevoir, il nous faut nous poser la question : où en suis-je de mon attente ? Où en suis-je de ma soif de rencontrer le Seigneur ?

Pour nous aider à y répondre l’Evangile nous propose un critère. C’est le critère de la disponibilité.

Lorsqu’on regarde le texte de la rencontre de Jésus avec Jean et André, on est frappé de la suite : « Maître, où demeures-tu ? Venez et voyez. Et ils demeurèrent avec lui ce jour-là. » Voilà le critère de la disponibilité, de mon attente de Jésus : suis-je capable de demeurer avec le Christ ? La réponse est radicale… Autrement dit, si vous regardez votre montre pendant que vous lisez ce texte, que vous priez ou que vous assistez à la Messe, c’est que vous n’êtes pas en attente de Jésus puisque vous n’êtes pas capables de demeurer une demi-heure en pensant à Lui.

« Ils demeurèrent avec lui. » C’est l’exigence profonde de Jésus. Cette exigence sera la trame de tout Son enseignement jusqu’à la fin où, peu de temps avant de mourir, Il dira : « Demeurez en mon amour. » Voilà l’épanouissement de Son vœu, ce qu’Il attend ardemment de nous : Demeurer avec Lui, demeurer en Son Amour !

« Demeurez en mon amour. »

C’est dire que Jésus veut avec nous une relation immédiate, ce cœur à cœur que nous avons dans la relation d’amitié, dans la relation conjugale ou parentale. Un cœur à cœur, pas une union d’idées ! Non ! Une relation immédiate et une relation prolongée. Quand nous nous aimons entre amis, ou entre mari et femme, ou entre parent et enfant, c’est pour toujours ; ce n’est pas seulement pour aujourd’hui, pour telle circonstance, à telle heure : « Ils demeurèrent avec lui ce jour-là. »C’est à dire n’importe quel jour, ou encore tous les jours… et pas seulement une heure le dimanche !

« Demeurez en mon amour » : Je veux avec toi une relation immédiate, sans intermédiaire, et prolongée. « Priez constamment » dira l’Ecriture… C’est l’oraison du cœur, c’est ce lien habituel, implicite que la femme a vis à vis de son époux, que l’époux a vis à vis de sa femme, que les enfants ont vis à vis de leurs parents et que le chrétien doit avoir avec Dieu. « Je dors, mais mon cœur veille… » Je suis toujours avec Lui, Lui qui  est toujours avec moi, qui est toujours déjà là !

Cette présence aussi habituelle qu’intérieure et intime est bien différente de nos plaisirs passagers, de nos attraits vis à vis de telle église, de tel curé, de tel livre qui nous a emballé à cause de notre psychologie changeante… Cela n’a rien à voir. D’où nos Messes rapides, bâclées, nos petites prières, nos irrégularités, nos manques de sacramentalité…

Regardons la différence entre l’attitude que nous propose Jésus et l’attitude que nous, nous avons en ramenant le Christ à nos fantasmes, à nos psychologies, à nos besoins humains et circonstanciés… Rien à voir !

« Nous avons trouvé le Messie ! »

Demeurons, demeurons avec Lui dans une relation profonde, intime, personnelle, secrète… Et surtout n’allons pas embêter les autres avec notre vie en Dieu.

Par contre, cette relation, ce cœur à cœur qui nous met en contact avec la charité vraie, nous fait être témoin ! Comme Jean Baptiste, comme André : « Nous avons trouvé le Messie ! » Oui, c’est nous qui pourrons le dire : ça y est, je L’ai trouvé, je L’ai rencontré ! Comme disait Frossard : « Dieu existe, je L’ai rencontré. » Nous devenons témoin comme Jean Baptiste qui eut si peu de paroles (il n’embêta personne avec de grands discours mystiques), mais dont les mots si importants sont éternisés dans notre liturgie : « Voici l’Agneau de Dieu… »

Et un regard… Un seul regard échangé avec l’Homme Nouveau apparu devant lui. Regard qui n’est pas regard de plaisir, mais regard de vérité et donc de témoignage : « Jean regarda le Christ et dit : Voici l’Agneau de Dieu… »

Il faut que notre regard soit transparent pour être un regard de témoignage qui amène nos frères au Christ. Pas de blabla, pas de discours. Mais comme le Baptiste : « Voici l’Agneau de Dieu. » avec un regard qui dévoile que nous sommes présents à Lui dans la persévérance, que nous demeurons avec Lui et qu’en Lui nous avons trouvé vraiment l’envoyé de Dieu qui nous comble de Joie !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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