Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

Rien n’est vrai que d’aimer l’homme par l’amour reçu de Dieu !

Lectio divina pour le dimanche 22 janvier 2017

Avec le deuxième Dimanche du Temps Ordinaire, nous avons essayé de prendre conscience de l’importance de l’Evangile qui nous révèle la Personne de Jésus, la Parole. Avec le troisième dimanche nous commençons donc à suivre à travers l’Evangile de Matthieu cette Parole dans Sa vie non seulement historique, mais humaine au sens le plus fort du mot, c’est-à-dire immergée dans les tissus les plus concrets de la vie des hommes et, comme nous allons le voir, pour cette humanité.

Le passage d’aujourd’hui est particulièrement important car il est la première interpellation que la Parole, le Christ, lance à l’homme. Essayons d’en comprendre le sens en nous aidant du contexte de l’évangile de Matthieu et en nous aidant du texte parallèle de l’appel des disciples en Saint Jean.

Jésus est venu pour servir l’homme !

Nous partons d’une réalité expérimentale : la réalité de notre monde, la réalité de l’homme parce que Dieu est venu chez les siens, Dieu est venu chez l’homme. Il nous faut bien prendre garde tout au long de notre lecture de l’Evangile de ne pas transformer le message du Christ au profit d’un théocentrisme de mauvais aloi : Jésus n’est pas venu pour être servi, Il est venu pour servir, et même si cela dépasse l’entendement, Il est venu pour servir l’homme !

Qu’est-ce que l’homme ? C’est un être qui se cherche. L’animal est, et dans cette existence, par rapport à la vie, il est passif. L’homme, lui, est en recherche. Il possède en lui une sorte d’instinct qui le pousse à un développement, à un ‘être-plus’, à un développement enraciné dans son être d’homme et qui se réalise dans l’action. J’agis toujours pour une fin… Pour apporter la bonne nouvelle, pour guérir, pour m’enrichir, pour servir ma famille, etc… L’homme cherche toujours, dans son action, à se réaliser. Il cherche une réalisation maximale, et pour atteindre cette réalisation maximale, il cherche la direction dans laquelle il doit agir. Il cherche la direction optimum pour une réalisation maximum.

Lorsqu’il est dans l’incertitude, l’homme se mine. Nous sommes, actuellement peut-être plus que dans d’autres époques, dans une situation de contradiction. Plus nous usons de notre intelligence, de la technologie qui nous fait conquérir les espaces, le temps, voire même quelquefois l’intelligence humaine avec les systèmes d’intelligence artificielle, plus nous avançons dans les sciences, plus la vie paraît absurde ! A tel point que les réflexions de Camus paraissent aujourd’hui se réaliser à l’extrême ! C’est vrai que l’homme se cherche, et que plus il est intelligent, moins il voit de projets, de sens à sa vie…

« Que cherchez-vous ? »

L’homme donc cherche sa réalisation maximale dans une direction optimale. Et Jésus ?

Lorsqu’Il va interpeller pour la première fois les hommes de son temps et donc l’homme, Jésus va se servir de cette question intérieure, première et essentielle. L’évangile du disciple bien aimé précise en effet que, voyant André et Jean Le suivre, Il se retourne et leur demande : « QUE cherchez-vous ? » et non « Qui »…

L’homme en effet est à la recherche de cette réalisation avant d’être à la recherche d’une personne qui sera un moyen pour accomplir cette réalisation : que ce soit l’époux, l’épouse ou, de manière plus lointaine, l’idéal, voire un Dieu…

Et c’est important de voir là comment Jésus ne vient pas pour imposer le Père, pour imposer quelque chose extrinsèque à l’homme. Il vient pour prendre l’homme et le guérir en lui dévoilant la voie vraie qui mène à l’accomplissement de sa vie. C’est pourquoi Il révèlera plus tard : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie… »

« QUE cherchez-vous ? » Et Jésus répondra à cette question de manière floue : « Venez et voyez. » C’est tout… Voilà l’appel d’André et de Jean raconté par Saint Jean.

C’est l’homme qui intéresse Dieu !

En Saint Matthieu, nous nous situons dans un autre contexte. A peine quelques mois plus tard, Jésus remonté sur la Galilée, se trouve le long du lac de Tibériade. Il y rencontre André, Pierre, Jacques et Jean. Là, l’interpellation du Christ, face à ces quatre hommes -qui nous représentent-, est beaucoup plus impérative, plus directe : « Venez, suivez-moi, je vous ferai pêcheurs d’hommes »

Dans ce texte de Matthieu, le Christ, par cette interpellation catégorique nous révèle ce qui intéresse Dieu : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Ce qui intéresse Dieu, ce n’est pas Dieu, c’est l’homme ! Jésus, ici, nous pose en face de la vocation humaine. Parce que c’est l’homme qui intéresse Son Père.

La vocation humaine, qu’est-ce ? Ce n’est pas seulement uniquement mon ego qui essaye de trouver une direction et de se réaliser. La vocation humaine est bien plus extraordinaire. C’est l’appel de Dieu, comme Père et Créateur, à chacun d’entre nous (à travers Pierre, Jacques, André, Jean…), à découvrir avec Lui quelle direction prendre pour se construire, se faire homme, tel qu’Il l’a désiré, c’est à dire à Son image !

« Venez derrière moi ! »

Considéré sous cet angle, ce passage de l’Evangile nous révèle l’attention divine pour celui qu’Il a créé, pauvre créature perdue par la brisure du péché et qui cherche à retrouver le chemin de la vie au milieu des ténèbres du Mal…

« Venez derrière moi », non pas pour Me servir, mais pour découvrir avec Moi la direction optimale, c’est-à-dire celle qui mène au grandissement, à la maturité, à ce que le Père a désiré par Amour pour chaque homme. La vocation humaine, c’est l’appel que Dieu lance à chacun pour se réaliser !

Et qu’est-ce que le Christ m’apporte face à cet instinct premier de l’homme qui est de se réaliser ? A la fois rien et tout.

Le Christ ne m’apporte rien en ce sens qu’en tant qu’homme, je possède cet instinct qui s’appelle la conscience. Au contraire de l’animal, l’homme qui pose un acte le pose toujours en conscience. Il le pose en conscience, et sa conscience le fait réfléchir sur l’intérêt de cet acte, la valeur de cet acte par rapport à son projet : un plus ou un moins que l’on peut qualifier de mal ou de bien, d’enrichissement ou d’appauvrissement. Chacun, en tant qu’homme, a cette conscience et le Christ ne vient pas remplacer cette conscience !

Jésus, vrai Dieu et vrai Homme, est venu révéler l’homme à l’homme

Etre chrétien, ce n’est pas remplacer sa conscience par le Christ. C’est laisser librement, avec confiance et avec joie, le Christ éduquer la conscience le plus parfaitement possible. Autrement dit, pour qu’elle préside chrétiennement à chaque décision de la vie !

C’est accepter le Christ comme éducateur de ma conscience qui est l’expression de ma liberté en même temps qu’elle en est la norme dernière. C’est donc rechercher dans le Christ la véritable libération : « Si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres » écrivait Paul aux Galates…

Etre chrétien, c’est accepter de mettre sa conscience sous la Lumière de Jésus qui est, précise Jean dans son Prologue, la vie des hommes… C’est pourquoi l’Eglise a raison de dire que Jésus, vrai Dieu et vrai Homme, est venu révéler l’homme à l’homme.

C’est accepter cette lumière qui va chasser peu à peu mes ténèbres. Parce que je suis ténèbres et que je marche, comme le monde, dans les ténèbres ainsi que le chante le Benedictus de Zacharie. Ne voyons-nous pas les ténèbres du monde ? Ne les voyons-nous pas dans les guerres, les haines, dans les injustices, dans tout ce que l’homme est capable de produire, et il vaudrait mieux dire : de déconstruire ?!

Et cela ne se diffuse-t-il pas de notre cœur ? Bien entendu que si ! Le péché que je vois dans le monde est, au niveau de la communion du mal, diffusé de mon cœur et malheureusement retourne infester mon cœur

« Convertissez-vous ! »

Ces ténèbres, que sont-elles ? Elles sont seulement le produit de la contradiction et de la lutte qu’il y a entre la vocation que je pressens être la mienne : la vocation au don et à l’amour (tout homme est né pour aimer et être aimé), et cette force presque indéracinable que l’on appelle égoïsme et qui me fait, en même temps que vouloir aimer et être aimé, ramener tout à moi : « Moi, moi, moi, disait Camus… » Voilà à quoi se résume ma chère vie, comme l’avait si bien analysée Paul remarquant qu’il faisait le mal qu’il ne voulait pas faire et ne faisait pas le bien qu’il désirait faire

Chacun de nous pourrait le dire ! Les ténèbres, c’est ce conflit qu’il y a entre ce que je pressens de fondamental dans mon humanité, c’est-à-dire la présence d’un cœur attiré par ce que lui présente l’intelligence, c’est-à-dire le bien, la valeur, et puis cette force diabolique, ténébreuse, destructrice, de l’ego.

Voilà pourquoi le Christ dans le même passage d’Evangile que nous venons de lire clame: « Convertissez-vous ! »

« Il n’est que raisonnable d’être généreux. » St Ignace

Voilà l’éducateur de la conscience ! Décentrons-nous de nous pour nous centrer sur Celui qui est notre Modèle et notre Pédagogue, le chef de notre foi, comme dit l’épître aux Hébreux, notre Frère aîné, le Premier d’entre les Créatures par qui tout a été fait et le Premier d’entre les morts par qui tout a été recréé

« Convertissez-vous, le Royaume de Dieu est proche. » C’est une formule générique qui va ensuite se préciser à chaque page de l’Evangile.

Nous le verrons, tout au cours de l’année liturgique, cet appel à la conversion n’est pas un ordre. Et donc, à l’Amour de Dieu, c’est-à-dire à cet acte absolument gratuit et libre que Dieu porte à l’homme ne peut répondre qu’un acte libre d’amour, ce qui revient au même car un acte d’amour est toujours libre.

Dieu n’impose rien, Dieu n’exige rien. Comme l’écrivait Claudel, le Père n’a même pas imposé à Son Fils la mort sur la Croix ! L’impératif de cet ordre: « Convertissez-vous » ou « Suivez-moi », n’est que l’impératif du Bien qui est à faire pour atteindre le bonheur de Sa plénitude, qui est de correspondre à notre nature d’hommes, créés à l’image de Dieu.

Ce que Saint Ignace disait : qu’il n’est que raisonnable d’être généreux.

« Je vous ferai pêcheurs d’hommes… »

« Convertissez-vous… », « Suivez-moi… » Autrement dit, pour vous convertir, soyez en Moi et vivez par Moi ! Ce n’est pas vous qui vous convertissez, c’est Moi et, en Moi, Mon Père qui vous transformons à notre image par la force de notre commun Esprit d’Amour !

Nous sommes tranquilles, il nous suffit de marcher derrière le Christ. Et c’est Lui qui travaille… Et c’est Lui qui, petit à petit, nous décentre de nous-mêmes pour nous centrer vers Lui et vers Son Père… C’est Lui qui nous fait devenir des sacrements de Dieu et qui par conséquence, nous transforme en pêcheurs d’hommes, c’est-à-dire en modèles imitables et attirants de la véritable humanité voulue par Dieu. « Je vous ferai pêcheurs d’hommes… »

Quand on voit un saint, on s’en approche, quand on voit quelqu’un d’obscur, on s’en éloigne. Alors si les gens s’éloignent de l’Eglise, c’est peut-être parce que nous sommes encore trop obscurs, nous ne sommes pas encore suffisamment convertis… Nous avons encore trop d’intérêt dans la poche ! Dans la mesure où nous accepterons d’être pauvres pour n’être vraiment qu’à l’image de Dieu, alors nous serons comme Pierre, comme Jacques, comme Jean, comme André, des témoins, et donc de véritables pêcheurs d’hommes !

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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