Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« CELUI QUI M’AIME GARDE MA PAROLE. »

Lectio divina pour le 10ème Dimanche Ordinaire – Année B
Gn. 3, 9-15 2Cor.4, 13-5, 1 Mc. 3, 20-35

Si dans l’Evangile nous trouvons souvent des réflexions à partir des thèmes du repas, de la maison, de la famille, ce n’est pas seulement parce que le Fils de Dieu s’est fait homme et a partagé la vie quotidienne donc la vie nourricière, la vie familiale -à commencer par Nazareth- c’est aussi parce que le Fils de l’homme vient réintroduire l’humanité dans une relation de maisonnée, une relation familiale avec Son Père.

« Jésus entre dans une maison… »

Le discours de l’évangile de ce dixième Dimanche Ordinaire au sujet de Béelzéboul nous montre justement, par la parabole que Jésus emploie, l’importance du thème de la maison, thème que saint Paul reprendra au niveau de la figuration de l’Eglise.

Ce qui est intéressant dans ce passage sur le thème de la maison, c’est en effet le soulignement, en particulier par la dernière phrase qui en est la morale, de ce pourquoi le Christ est venu : pour introduire l’homme dans une relation familiale. Idée maîtresse que nous retrouvons, par exemple, dans la parabole du fils prodigue où saint Luc nous décrit le père accueillant dans sa maison l’enfant perdu.

« Celui qui fait la volonté de mon Père. »

Comparaison n’est pas raison ! Remarquons en effet que ce thème de la relation de l’homme à Dieu, établie sur le modèle familial, sur le modèle de la maisonnée au sens hébreu du mot (comme il y aura le sens romain de la clientèle, de la domus…) ne va pas sans quelque difficulté ni sans quelque purification.

Songeons pour commencer, à ce que Jésus impose à Sa propre mère se tenant au seuil de la maison ! Dieu sait si Marie était proche de son fils… Or elle se trouve avec la famille de Jésus au seuil de la maison ! De plus, c’est à ce moment que, au lieu de faire entrer Sa mère dans la maison -pour la montrer en exemple-, Il la laisse loin de Lui. Comme à Cana, où Il établissait déjà une première séparation charnelle pour mieux faire ressortir la cause fondamentale de la relation familiale de l’homme avec Dieu : l’accord des volontés ! « Celui qui fait la volonté de mon Père. »

« Aurais-tu désobéi ? »

Cette finale de l’évangile nous rappelle de manière antithétique (c’est à dire par opposition) la condition humaine qui s’est manifestée par Adam, tel que nous le rappelle le chapitre de la Genèse lu dans la première lecture : « Aurais-tu désobéi ? Aurais-tu mangé du fruit de l’arbre ? » Avec, en conséquence et comme à l’opposé de la convivialité familiale, la condition humaine avant le Salut apporté par le Fils : condition de nudité, condition de crainte, condition de ténèbres…

« Adam, où es-tu ? »

Adam se cache. Il a peur et Dieu vient le chercher. Son Amour fou court après cet enfant perdu qu’Il veut sauver des griffes du Mal. Et c’est cette fameuse interpellation éternelle de Dieu cherchant la réponse d’amour de l’homme : « Adam, où es-tu ? »

Cette question -Adam où es-tu ?- s’exprime concrètement, dans ces temps du Salut, par l’Incarnation du Fils qui vient chercher Adam, c’est à dire qui vient rétablir Adam dans la relation familiale, plus précisément encore dans une relation paternelle d’enfant à Père.

« Une seule chose est nécessaire… »

Mais comment va-t-on passer de notre condition adamique de vieil homme, d’homme ayant hérité de ce refus d’obéissance, à la condition de l’homme christique, de l’homme nouveau qui, en Jésus-Christ, fait parfaitement la Volonté du Père ? Oui, comment va-t-on passer de l’un à l’autre ?

Une seule chose est nécessaire, pour reprendre la phrase que Jésus dira à Marthe lorsqu’Il va chez Son ami Lazare à Béthanie. Nous nous souvenons de l’épisode. Le Maître se repose chez Ses trois amis, Marthe, Marie et Lazare. Marie est aux pieds de Jésus, écoute Sa Parole, alors que Marthe s’affole pour le service de la maison. Alors Jésus dit à Marthe : « Une seule chose est nécessaire, Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

« Prends-moi à moi et donne-moi tout entier à Toi ! »

Cette seule chose nécessaire, nous l’avons demandée dans la Collecte. Nous avons prié le Seigneur de nous inspirer ce qui est juste. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Ce qui est juste, dans le langage de la Bible, c’est ce qui donne la justice ; plus exactement ce qui me fait partager la justice, c’est à dire cette vertu que Dieu possède en perfection, comme toute autre vertu, et qu’Il donne à partager à ceux qui acceptent de s’approcher de Lui. Que ce soit en s’approchant de Sa Montagne (le Sinaï) ; ou en s’approchant de Sa Demeure, l’Arche d’Alliance… La justice en Dieu n’est rien d’autre que la sainteté, la perfection.

Donc, inspire-moi ce qui est juste signifie : donne-moi ce qui va m’identifier à Ta perfection, à Ta sainteté, en un mot à Toi-même. Donne-moi ce qui va m’unir à Ta pensée : Dieu a une pensée qui est le Verbe ! Donne-moi ce qui va m’unir à Ton désir… Je préfère ( )en effet employer ce mot « désir » plutôt que volonté, terme trop marqué par les philosophies kantiennes. Donc je demande ce qui va m’unir au désir de Dieu, à Son cœur, à ce qu’Il souhaite, à Son amour : à l’Esprit Saint !

« Venez et voyez… »

Mais comment Dieu va-t-Il pouvoir m’inspirer ce qui est juste, autrement dit comment va-t-Il pouvoir me faire découvrir Son désir ? Va-t-Il prendre le téléphone ?… Nous pouvons nous servir de notre expérience humaine. En particulier cette expérience de l’amitié partagée par Jésus avec certains personnages de l’Evangile : Lazare par exemple, ou Jean.

C’est une réalité vécue par tout un chacun dans la relation entre deux amis ou entre deux époux, ou entre un enfant et son parent. L’importance des yeux ! C’est dans les yeux que se dessine, se présente à l’autre sans le violer, sans l’obliger, le désir, l’attente qui est la nôtre. D’où l’importance des yeux et de savoir lire dans les yeux, de laisser transparaître dans nos yeux notre âme, toute sa profondeur, donc son attente.

« Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma parole… »

Et les yeux de Dieu, quels sont-ils ?Les yeux de Dieu c’est Sa Parole c’est à dire Jésus-Christ, c’est à dire encore l’Evangile qui a collecté de manière sacrée et inspirée les paroles du Christ. Autrement dit dans l’Evangile -qui est comme les yeux de Dieu- je peux lire les désirs de Dieu, ce que Dieu attend, non pas du monde, -restons sur notre route !- mais bien ce qu’Il attend de moi.

Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est du réalisme car une relation amicale se tisse toujours de personne à personne. Et c’est à partir du moment où nos relations personnelles entre notre âme et Dieu se construisent, que se construit l’Eglise.

Cela veut dire que c’est dans la fréquentation, (j’emploie un mot bien précis : la fréquentation, comme lorsqu’on fréquente quelqu’un c’est à dire que l’on est assidu à être avec lui, à lui plaire… ), c’est dans la fréquentation persévérante de la Parole de Dieu que je vais découvrir le désir de Dieu, ce qu’Il attend de moi, en d’autres termes la volonté de Dieu sur moi. Précisons que ce n’est pas une volonté omnipotente : Dieu me laisse libre, comme je suis libre de voir dans les yeux de mon ami ce qu’il veut de moi sans qu’il m’y oblige. Lui l’exprime dans son regard, et moi je suis libre d’y répondre ou pas.

« Mettez la parole en pratique… »

Autrement dit, Dieu va m’inspirer, va me faire découvrir l’orientation de Son cœur, Son désir, Sa Joie, Sa demande et Son attente par la lecture que je ferai de Sa Parole.

Bien sûr, il ne s’agit pas tant d’une lecture intellectuelle qu’une lecture assidue c’est à dire une mastication pour reprendre les mots des maîtres spirituels, une rumination pour s’en imprégner, s’en nourrir réellement.

Car il ne suffit pas d’avoir un regard qui passe, il faut avoir un regard perçant, pénétrant et donc appuyé pour découvrir dans les yeux de l’ami quels sont ses besoins, ou ses peines, ou ses joies. Ainsi faut-il que je m’arrête dans la Parole de Dieu pour y lire ce que Dieu désire de moi.

Cette lecture va aboutir à ce que l’on appelle la prière ou l’oraison qui sera la demande que ce que je viens de lire dans la Parole, ce que je viens de découvrir du désir de Dieu s’applique dans ma vie, se réalise par ma vie… En un mot, que je sois la réalisation du désir de Dieu, que ma vie ne soit autre chose que cette réalisation, peu à peu, quotidienne, dans ma vie familiale, amicale ou professionnelle.

« Demandez et vous recevrez… »

Et lorsque ma prière devient fervente, si, ayant découvert dans la Parole de Dieu le désir de Dieu, je demande vraiment à ce que ce désir soit appliqué par et dans ma vie, alors effectivement, comme nous le rappelle Jean dans son épître, je vais recevoir ce que j’aurai demandé : « Si tu crois que tu vas obtenir ce que tu demandes et qui correspond à la volonté de Dieu, tu l’obtiendras. » J’obtiens ce que je demande car ce que je demande n’est pas mon bien-être personnel, mais que s’accomplisse le désir de Dieu en moi.

« O Seigneur, faites de moi un instrument de votre paix ! »

Autrement dit, j’arrive à cette expérience que l’âme goûte cette richesse de Dieu tirée de la Parole par une rumination persévérante, et en même temps la met en pratique, en produit le fruit !

Bien entendu ceci est l’idéal que les saints atteignent à force de vie, à force d’expérience, à force de contact avec la Parole de Dieu.

Il est important de comprendre qu’agir en fonction de la Volonté de Dieu, c’est à dire entrer dans la famille de Dieu, se ré-introduire dans la relation à Dieu, en un mot se sauver, être enfant de Dieu, ne peut se faire en dehors de cet acte fondateur qu’est l’oraison. Et ce, quelle que soit la modalité de l’oraison que l’on emploie : chapelet, adoration, pèlerinage, lecture spirituelle… Du moment que cette oraison est née de la méditation et de la rumination de la Parole de Dieu. Du moment que, par l’oraison, le priant demande à Dieu d’être l’instrument de Son Amour.

« Je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie… »

Nous avons trop tendance à couper entre l’intellect et le cœur, entre la pensée et l’agir, entre la contemplation et l’action. D’où ces phrases que nous entendons dans notre propre cœur comme dans les âmes : -Père je sais ce qu’il faut faire, je le savais, mais je n’ai pas réussi ; je retombe toujours dans les mêmes problèmes, dans les mêmes faiblesses, dans les mêmes fautes…

Dans la Collecte nous avons demandé à Dieu de nous inspirer ce qui est juste et de nous aider à l’accomplir. Cette dernière expression, ce aider à l’accomplir s’enracine dans inspire-nous ce qui est juste : parce que si je me pose en dehors de cet acte fondateur qu’est le contact avec la Parole de Dieu (c’est à dire le regard dans les yeux de Dieu, de ce qu’Il désire pour moi), en un mot si je me place en dehors de cette relation cordiale, je ne peux comprendre que le désir de Dieu soit un bien qu’Il me donne à partager pour entrer dans Sa joie. Deux êtres qui s’aiment, deux amis ou un couple, sont heureux du bonheur de l’autre !

« Il s’en alla tout triste car il avait de grands biens… »

Donc si je n’ai pas cette relation amoureuse avec Dieu, ce désir de Dieu devient effectivement la volonté de Dieu, qui sort d’un Principe inaccessible, finalement inconnu parce que je ne Le regarde pas, je ne Le fréquente pas avec mon cœur… Le désir de Celui qui m’est indifférent devient la volonté qui m’est imposée. Et parce qu’il faut que je donne un nom à ce Principe, comment vais-je L’appeler ? Oui, je vais finir par Lui donner un nom à ce Dieu qui m’échappe et qu’est-ce que je vais Lui donner comme nom ? Ma conscience !

Et c’est là le drame parce que je vais m’auto-flageller, je vais m’auto-condamner, je vais m’imposer par ce principe que je vais appeler ma conscience, des choses que je ne veux pas faire et que je ne comprends pas : je ne sais pas pourquoi on me demande de les faire… Jusqu’au jour où, finalement, je vais tout envoyer balader ! Mais pourquoi je ne désirerais pas la femme de mon prochain ? Qui m’en empêche, puisqu’elle me plait ? Pourquoi n’irais-je pas me soulager sur la voiture de mon voisin puisque j’ai un besoin pressant et que ce n’est pas ma voiture, mon bien ?! Pourquoi ne pas me garer sur un emplacement gênant puisque j’ai envie d’aller faire une course tout à côté ?! Je m’en fiche, j’envoie tout balader… C’est ce que nous voyons tous les jours dans la rue !

« Il est interdit d’interdire » avait-on pu lire en 68 sur les murs de la Sorbonne ! J’envoie tout balader parce que tout m’a été imposé comme à un gosse. Car c’est moi qui suis devenu ce gosse en ne voulant pas partir à la découverte du Principe…

« Choisis la vie ! »

Oui, tout m’est imposé et il faut que je trouve un nom à ce principe qui m’impose et je vais dire que c’est la conscience ! Mais non, ce n’est pas ma conscience, et donc je suis en rupture avec moi-même…

Nous comprenons comment on arrive à ces éclatements comme nous les voyons dans nos sociétés ! Car on est arrivé à croire que si le bien était bien, c’était parce qu’il était imposé par En Haut. Alors que c’est parce qu’il est Bien, que le Très-Haut nous demande de le poursuivre ! De même ce n’est pas parce que ça m’est interdit que c’est mal ! C’est parce que le mal me détruit qu’il m’est déconseillé par Dieu qui m’aime et veut ma vie, non ma mort !

Et tout cela vient de ce que l’on a confondu expérience de Dieu et conceptualisation de Dieu. Laissons la conceptualisation pour les philosophes, les théologiens ! Mais nous, faisons l’expérience du Dieu vivant c’est à dire approchons-nous, comme dit saint Paul, de cette Parole par laquelle Dieu me dit Son Amour…

Dieu désire que nous lisions Son Amour dans Ses yeux qu’est Sa Parole et que nous nous attachions à Le satisfaire par Son même Amour dans notre vie. Voilà la grâce que nous pouvons demander dans la Liturgie du 10ème Dimanche Ordinaire.

 

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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