Dans la joie de la nouvelle nomination du cardinal Sarah, qui avait ordonné huit prêtres et dix diacres de la Communauté en 2011 à Blois, nous mettons à votre disposition l‘homélie qu’il avait prononcée, dans son intégralité

Bien cher Frères dans l’Episcopat et le Sacerdoce,
Bien chers Frères et Sœurs,
Bien chers Ordinands,

Je ne crois pas que ce soit un pur hasard ou tout simplement une heureuse coïncidence que vous ayez choisi de recevoir la grâce du Diaconat et du Presbytérat, la veille de la Solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. C’est pour moi une évidence que la Providence divine, maître de l’histoire et des événements, a été, elle-même, à prédisposer les circonstances et les moments du Sacrement que nous célébrons, aujourd’hui. Dieu veut ainsi vous montrer, à la fin de cette longue préparation à votre ministère sacerdotal et pastoral, que ce n’est pas vous qui vous donnez à Lui, mais c’est Lui qui, gratuitement et dans sa grande générosité, se donne à vous. Certes, aujourd’hui, aux yeux du monde, vous vous engagez à offrir votre corps, votre cœur, toute votre vie et toutes vos capacités d’aimer au Seigneur. Cet engagement personnel et librement consenti, vous le manifesterez tout à l’heure par les réponses que vous donnerez aux questions que je vous adresserai concernant votre disponibilité à prêcher l’Evangile, à consacrer votre vie à la prière et à la louange et à vivre dans l’obéissance, le célibat et la pauvreté par amour pour le Christ et en signe de Don de vous-mêmes à Dieu. Mais en réalité, c’est Dieu lui-même qui se donne à vous, pour qu’en l’accueillant au plus profond de votre cœur, il fasse de vous les Instruments de son Amour. Saint Jean nous rappelle plus d’une fois les paroles de Jésus : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi ; mais c’est moi qui vous ai choisis et établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). Et dans sa Première Lettre, il ajoute : « En ceci consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est Lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiations pour nos péchés… Quant à nous, aimons puisque Lui nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 10-19).

Saint Paul, lui-même, s’identifiant totalement au Christ mort et ressuscité, fait l’expérience bouleversante d’avoir été aimé personnellement par Jésus. Cette expérience le transforme de fond en comble jusqu’à partager le même être, la même vie et le même amour que ceux du Christ : « Je suis crucifié avec le Christ ; et ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi ». (Ga 2, 19-20). Oui, Jésus aime chacun de nous personnellement, gratuitement, généreusement.

En effet, avec la Sainte Eucharistie, Sacrement, si l’on peut dire, de la générosité divine, Dieu nous concède sa grâce, et c’est Dieu lui-même qui se donne à nous, en Jésus-Christ qui est réellement et toujours présent – et non seulement durant la Sainte Messe – avec son corps, avec son âme, avec son sang et sa Divinité. Désormais par l’ordination presbytérale, vous aurez, par vocation, à perpétuer quotidiennement le Sacrifice Eucharistique, le Sacrifice du Don que Jésus fait de lui-même et vous, les Diacres, régulièrement à genoux pour la contempler et l’adorer, vous aurez à donner cette Présence d’Amour aux fidèles chrétiens pour qu’ils s’en nourrissent. Par l’imposition de mes mains et par une nouvelle et ineffable effusion de l’Esprit Saint, vous allez recevoir dans vos âmes un caractère indélébile qui vous configure au Christ, vous rend entièrement semblables au Christ-Prêtre, en vous associant à la plénitude du Christ, pour agir au nom de Jésus-Christ, Tête du Corps Mystique (cf. Cyrille de Jérusalem, Catéchèses, 22,3). Vous aurez à travailler chaque jour pour que, grâce à l’Esprit-Saint, vous ressembliez parfaitement au Christ ; « ressemblance pareille à celle qui existe entre l’eau et l’eau, entre l’eau qui jaillit de la Source et celle qui de là est venue dans l’amphore. En effet, c’est par nature la même pureté que l’on voit dans le Christ, et chez celui qui participe au Christ. Mais chez le Christ elle jaillit de la Source, et celui qui participe du Christ puise à cette Source et fait passer dans sa vie la pureté et la beauté du Christ (cf. St Grégoire de Nysse). Oui, désormais vous n’êtes pas seulement un « Alter Christus », mais bien plus : vous êtes « Ipse Christus ». Vous êtes le Christ lui-même. Mystère admirable mais combien redoutable et terrifiant en même temps !

Avec le Sacrement de l’Ordre, vous allez, en prononçant les paroles mêmes du Christ, consacrer le pain et le vin pour qu’ils deviennent le Corps et le Sang du Christ. Vous allez ainsi offrir à Dieu le Saint Sacrifice, pardonner les péchés dans la confession sacramentelle et exercer le ministère de l’enseignement de la Doctrine au peuple, « in iis quae sunt ad Deum », en tout ce qui se réfère à Dieu, et en cela seulement. Vous voyez que tout ce que vous êtes, tout ce que vous faites, tout ce que vous dites, ne vous appartient pas. Tout, absolument tout, est Don et manifestation de l’Amour de Dieu en votre faveur, et sans mérite aucun de votre part.

C’est pourquoi le prêtre doit être exclusivement un homme de Dieu, un Saint ou un homme qui aspire à la sainteté, quotidiennement adonné à la prière, à l’action de grâce et à la louange, et renonçant à briller dans des domaines où les autres chrétiens n’ont nul besoin de Lui. Le prêtre n’est pas un psychologue, ni un sociologue, ni un anthropologue, ni un chercheur dans les centrales nucléaires, ni un homme politique. C’est un autre Christ ; et je répète : il est vraiment « Ipse Christus, le Christ lui-même », destiné à soutenir et à éclairer les âmes de ses frères et sœurs, à conduire les hommes vers Dieu et à leur ouvrir les trésors spirituels dont ils sont terriblement privés aujourd’hui. Vous êtes prêtres pour révéler le Dieu d’Amour qui s’est manifesté sur la croix et pour susciter, grâce à votre prière, la foi, l’amour et le retour de l’homme pécheur à Dieu.

En effet, nous vivons dans un monde où Dieu est de plus en plus absent et où nous ne savons plus quelles sont nos valeurs et quels sont nos repères. Il n’y a plus de références morales communes. On ne sait plus ce qui est mal et ce qui est bien. Il existe une multitude de points de vue. Aujourd’hui, on appelle blanc ce qu’hier on appelait noir, ou vice versa. Ce qui est grave, ce n’est pas de se tromper ; c’est de transformer l’erreur en règle de vie. Dans ce contexte, comme prêtres, pasteurs et guides du Peuple de Dieu, vous devez avoir la préoccupation constante d’être toujours loyaux envers la Doctrine du Christ. Il vous faut constamment lutter pour acquérir la délicatesse de conscience, le respect fidèle envers le Dogme et la Morale, qui constituent le dépôt de la foi et le patrimoine commun de l’Eglise du Christ. C’est précisément les conseils et l’exhortation que Saint Paul adresse à chacun de vous, aujourd’hui, dans la Première Lecture : « Montre-toi un modèle pour les croyants, par la parole, la conduite, la charité, la foi, la pureté… Consacre-toi à la lecture, à l’exhortation, à l’enseignement. Ne néglige pas le Don spirituel qui est en toi, qui t’a été confié par une intervention prophétique accompagnée de l’imposition des mains du Collège des Presbytes… Veille sur ta personne et sur ton enseignement ; persévère en ces dispositions » (1 Tm 4, 12-14.16).

Si nous avons peur de proclamer la vérité de l’Evangile, si nous avons honte de dénoncer les déviations graves dans le domaine de la morale, si nous nous accommodons à ce monde de relâchement des mœurs et de relativisme religieux et éthique, si nous avons peur de dénoncer énergiquement les lois abominables sur la nouvelle éthique mondiale, sur le mariage, la famille sous toutes ses formes, l’avortement, lois en totale opposition aux lois de la nature et de Dieu, et que les Nations et les cultures occidentales promeuvent et imposent grâce aux mass-média et à leurs puissances économiques, alors les paroles prophétiques d’Ezéchiel tomberont sur nous comme un grave reproche divin. « Fils d’homme, prophétise contre les Pasteurs d’Israël qui se paissent eux-mêmes. Les pasteurs ne doivent-ils pas paitre le troupeau ? Vous vous êtes nourris de lait, vous vous êtes vêtus de laine… Vous n’avez pas fortifié les brebis chétives, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené celle qui s’égarait, cherché celle qui était perdue. Mais vous les avez gouvernés avec violence et dureté » (Ez 34, 2-4).

Ces reproches sont graves, mais plus importante est l’offense que l’on fait à Dieu quand, ayant reçu la charge de veiller au Bien spirituel de tous, on maltraite les âmes en les privant du vrai enseignement et de la Doctrine sur Dieu, sur l’homme et les valeurs fondamentales de l’existence humaine, ou en les privant de l’eau limpide du Baptême qui régénère l’âme, de l’huile sanctifiante de la Confirmation qui la renforce ; du tribunal qui pardonne et de l’aliment eucharistique qui donne la vie éternelle.

Vous, chers Amis et Serviteurs Bien-aimés de Dieu, aimez à vous asseoir dans le confessionnal pour attendre les âmes qui veulent avouer leurs péchés et désirent humblement revenir dans la Maison paternelle. Célébrez l’Eucharistie avec dignité, ferveur et foi. Celui que ne lutte pas pour prêcher l’Evangile, convertir, protéger, nourrir et conduire le Peuple de Dieu sur la voie de la vérité et de la vie qui est Jésus lui-même, celui qui se tait devant les déviations graves de ce monde, ensorcelé par sa technologie et ses succès scientifiques, s’expose à l’un ou l’autre de ces esclavages qui savent enchainer vos pauvres cœurs : l’esclavage d’une vision exclusivement humaine des choses, esclavage du désir ardent de pouvoir ou de prestige temporel, l’esclavage de la vanité, l’esclavage de l’argent, la servitude de la sensualité.

Et il n’y a qu’une voie qui puisse nous libérer de ces esclavages et nous conduire à assumer pleinement notre ministère de pasteurs et de bergers : c’est la voie de l’Amour. L’Amour, l’Agapè, est la clef pour comprendre le Christ. Et pour celui qui exerce le ministère pastoral dans l’Eglise, il ne peut puiser ses énergies que dans un Amour suprême pour le Christ : faire paitre le troupeau est un acte d’Amour. C’est parce que l’Amour nous lie étroitement et intimement au Christ que nous sommes à même de paitre son troupeau, et ce lien d’Amour avec le Christ est si fort que nous ne pouvons plus aller où nous voulons. Nous ne sommes plus maîtres de notre temps ni de nous-mêmes. Et c’est précisément pour cela que Jésus ne demande pas à Pierre s’il le connaît bien, ni s’il est content de la pêche miraculeuse dont il vient d’être gratifié, pour ensuite lui confier une mission personnelle et toute spéciale. Jésus demande à Pierre : « Est-ce que tu m’aimes ? ». Les deux premières fois, Pierre répond : « Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime ». Mais la troisième fois, à la suite des insistances de Jésus, Pierre se fait plus humble, plus petit, profondément meurtri par le souvenir de sa trahison et de son péché. Il n’utilise plus le verbe aimer seul, avec tout ce que sa signification comporte de pureté, de limpidité, de force, de vérité et d’engagement. Se souvenant de l’expérience douloureuse de sa misère et de ses faiblesses humaines durant la Passion, il nuance sa réponse en la rendant plus humble et en l’atténuant par une phrase qui est comme une expression d’abandon de soi à la science et à l’Amour miséricordieux de Dieu. Saint Jean rapporte que « Pierre fut peiné de ce qu’il eût dit pour la troisième fois : « M’aimes-tu ? » et il Lui dit : « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ». Jésus lui dit : « sois le berger de mes brebis » (Jn 21, 17).

Comme le cœur de Pierre et comme celui de Jean-Baptiste dont nous avons célébré la naissance, hier, le cœur du Prêtre doit être rempli d’Amour et rechercher l’humilité. Car l’humilité nous configure davantage au Christ qui a dit : « Je suis doux et humble de cœur » (At 11,29). Oui l’humilité et l’amour nous rapprochent et nous font ressembler à Dieu qui « s’est anéanti et s’est abaissé lui-même devenant obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix » (Ph 3,8).

Le devoir et la mission d’être berger, de témoigner du Christ ne se comprennent que si l’on aime, que si l’on est amoureux du Crucifié. Et la croix est la plus grande école où nous apprenons à aimer. Quand on n’aime pas on a terriblement peur devant les pouvoirs de ce monde et on cherche un compromis. Quand, au contraire, on aime, il n’y a pas de pouvoir qui puisse nous fermer la bouche, et les coups de cravache, les menaces, les calomnies, ou même les lapidations ne serviraient qu’à nous purifier de la peur et à nous remplir le cœur « de joie d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour le Nom de Jésus » (Act 5,41).

Il me semble que s’il y a, aujourd’hui, une véritable crise dans le monde, cette crise est celle de l’Amour pour le Christ et pour le Pape, le Vicaire du Christ, chez beaucoup, et même parmi certains chrétiens, prêtres et Evêques. Ceux-là considèrent le Pape et le Christ comme une idée ou une institution ou un pouvoir ou un mythe et non pour ce qu’ils sont modestement et divinement, à savoir :
– un Dieu qui, dans l’homme Jésus, a vaincu la mort pour que l’homme puisse vivre une expérience de libération ;
– un frère qui guide ces hommes libérés par le sang de Jésus et qui sont appelés, à leur tour, à conduire les autres vers la plénitude de la libération qui n’est autre que la plénitude de l’Amour. C’est en aimant seulement que le monde, qui ne croit pas, comprendra ce que signifie croire et découvrira l’Amour, cet Amour qui n’est pas un sentiment vague ni une recherche égoïste du plaisir, mais un visage ami, un frère qui est mort pour un chacun de nous, afin que le monde découvre l’Amour. Ce sera alors la Pâque, pour toujours et pour tous. Cette Pâque que l’ordination sacerdotale vous donne de célébrer chaque jour pour la Gloire de Dieu, la Sanctification et le Salut du Monde. Je vous confie à la Vierge Marie et à St Jean-Baptiste. Amen.