Le 19 décembre : O Radix Jesse

O Radix Jesse qui stas in signum populórum super quem reges continébunt os suum, quem gentes deprecabúntur veni ad liberándum  nos, jam noli tardáre.

O racine de Jessé, signe de ralliement des peuples, toi devant qui les rois garderont le silence et que les nations imploreront: viens nous délivrer, ne tarde plus.

Les parallèles scripturaires de l’antienne

 

O Radix Jesse qui stas in signum populorum In die illa radix Jesse qui stat in signum populorum Is 11, 10a

En ce jour-là la racine de Jessé qui se dresse comme un signal pour les peuples…

super quem reges continebunt os suum, Ipse asperget gentes multas; super ipsum continebunt reges os suum   Is 52, 15

Il aspergera des multitudes; devant lui des rois resteront bouche close

 quem gentes deprecabuntur Ipsum gentes deprecabuntur et erit sepulcrum eius gloriosum Is 11, 10b

Elle sera recherchée par les nations et sa demeure sera glorieuse

veni ad liberandum nos, jam noli tardare. Si moram fecerit exspecta illum quia veniens veniet et non tardabit.    Hab 2, 3

Si elle tarde (la vision), attends-la: elle viendra sûrement, sans faillir. 

Adhuc enim modicum et aliquantulum qui venturus est veniet et non tardabit.   He 10, 37

Commentaire

O Racine de Jessé qui se dresse comme un signal pour les peuples!

C’est le surgeon sorti de la souche de Jessé que nous invoquons en cette Grande O. On ne peut pas prononcer ce mot, musical du reste, de «Jessé» sans immédiatement entendre: Et egredietur virga… «Une tige sortira de la souche de Jessé et une fleur s’élévera de sa racine.»

Il y a jaillissement, poussée de sève vers le haut, éclosion de grandeur. L’intonation lyrique

O radix Jesse contient tout cela.

Immédiatement nous est proposée une autre image, celle du signe:

«O Racine de Jessé, signe de ralliement des peuples» le prophète Isaïe annonçait à son sujet: «‘Elle sera recherchée par les nations et sa demeure sera glorieuse», d’après l’heureuse correction de la néo-vulgate: signe et gloire. C’est déjà tout le message de la nuit de la Nativité: l’Ange, escorté de la gloire de Dieu, annonce (littéralement: ‘évangélise’) aux bergers une grande joie promise à tous les peuples. Et hoc erit vobis signum. «Et ceci vous servira de signe: Vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche». Heureux bergers, dit saint Bernard, qui, dans les veilles nocturnes, furent jugés dignes de la vision de ce signe!

Saint Bernard commente admirablement le sens de ce verset d’Isaïe qui forme la première et la troisième ligne de notre antienne – O Racine de Jessé, signe de ralliement pour les peuples, que les nations imploreront, ‘rechercheront’ selon la néo-vulgate- et l’enchaîne habilement avec la citation évangélique: «Combien de rois et de prophètes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l’ont pas vu.» Ce signe est celui de la paix, signe réservé aux hommes de bonne volonté, note saint Bernard, caché aux grands de ce monde et révélé aux tout-petits. Siméon en a été gratifié, et même rassasié. Siméon déclare de ce signe de paix qu’il est en même temps signe de contradiction. C’est ce que la seconde phrase de cette antienne, placée en incise dans la citation d’Isaïe, super quem continebunt reges os suum, nous laisse entendre. Empruntée au quatrième chant du Serviteur d’Isaïe, elle se présente de manière inattendue dans un tel contexte. Devant ce signe, «des rois resteront bouche close»; ce signe est alors celui de la Croix. «Voici que mon Serviteur prospérera, il grandira, s’élévera, sera placé très haut!» Elévation de souffrance qui est en même temps glorification du Fils au sens johannique: «Une fois élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes»

Le signe de la révélation d’une grande joie, d’une grande paix, passe par cet abaissement du Fils de l’homme.

«Et ceci vous servira de signe: vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche.» Dans son hymne de la Croix, Pange lingua Venance Fortunat fait le lien entre la crèche et la Croix, ces deux aspects de l’unique mystère du Salut:

«L’Enfant vagit, caché dans l’étroite mangeoire

Ses membres enveloppés de langes,

la Vierge mère les emmaillote

Et ses pieds, ses mains, ses jambes,

en un strict faisceau les ligote.»

Le poète voit l’enfant non seulement emmailloté mais resserré en tous ses membres, ligoté par les bandelettes –fascia– comme plus tard lors de l’ensevelissement. C’est donc cela le signe, le signe de l’oblation. «Dieu est en lui se réconciliant le monde, dit saint Bernard, il mourra pour vos péchés, il ressuscitera pour votre justification, afin que justifiés par la foi vous soyez en paix avec Dieu. Car ce signe, qui est de contradiction pour ceux qui le refusent, est de paix pour ceux qui le reçoivent: «Signe de pardon, de grâce, de paix, d’une paix qui n’aura plus de fin.»

L’expression quem gentes deprecabuntur nous rapporte à l’invocation de l’hymne de saint Ambroise Veni ‘Redemptor gentium’, devenu dans le choral allemand Nun Komm ‘der Heiden Heiland’: Sauveur des nations! Rédempteur des nations! Attente des nations! Exspectatio gentium! que la dernière Grande O, en un raccourci éloquent, applique à l’Emmanuel.

Celui qui se dresse comme un signal pour les peuples est ce rejeton sorti de la souche de Jessé, celui qui fut annoncé par le signe donné à Achaz: «Voici que la Vierge concevra.».

De même qu’on ne peut évoquer l’image du buisson ardent sans penser à Marie, de même il nous est impossible de chanter O radix Jesse sans voir la Vierge pure, ce rameau sublime et noble dont a jailli la fleur royale. «Virgo Dei Genitrix virga est, flos filius ejus» dit saint Bernard. La Vierge Mère est la tige, son fils est la fleur.

La somptueuse liturgie du 1er janvier nous le fera chanter à nouveau: Germinavit radix Jesse… Virgo peperit salvatorem, «La racine de Jessé a germé, la Vierge a mis a monde le Sauveur», en un grave 1er mode.