Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« MOI NON PLUS JE NE TE CONDAMNE PAS… »

Lectio divina pour le 5ème Dimanche de Carême Année C
Is. 43, 16-21 Phil. 3, 8-14 Jn. 8, 1-11

 

En ce 5ème dimanche, les lectures nous proposent trois thèmes de réflexion : le monde nouveau, décrit de manière anticipative par Isaïe ; l’entrée en Passion (que l’Église depuis la réforme liturgique, dans un souci d’exactitude historique a reporté au dimanche des Rameaux, puisque c’est effectivement l’entrée à Jérusalem qui fait débuter la Passion de Jésus, mais qui, dans la tradition quadragésimale de l’Église ancienne commençait en ce 5ème dimanche) : cela sera le thème de la lecture de saint Paul ; et enfin, dans l’Évangile, le pardon.

Ces trois réalités sont relationnées entre elles et s’éclairent mutuellement : le monde nouveau est celui du pardon, et le prix de ce pardon est la Croix !

« Voici que je fais un monde nouveau. »

Tout d’abord, le monde nouveau. « Voici que Je fais un monde nouveau » nous rapporte Isaïe. C’est de ce monde nouveau, opposé au monde ancien des pharisiens, dont parlera Jésus durant Sa vie publique comme par exemple, dans l’épisode de la femme adultère.

C’est dans ce monde nouveau que Dieu nous demande d’entrer, comme Il nous demande d’abandonner le monde ancien : « Ne songez plus au passé… »

Ce monde nouveau est le monde de l’abondance et de la fraîcheur. Le désert, qui était le point faible de l’économie sémitique de l’époque, le désert du Néguev, le désert de Judée comme celui de Samarie, voici que le désert va se transformer en oasis. Cette fraîcheur, cette abondance du monde nouveau va remplacer l’aridité, la dureté, l’implacabilité du désert qui s’abat sur l’homme, le brise et le tue… Souvenons-nous de ce que Jésus disait au peuple : « Les pharisiens lient des fardeaux pesants sur l’épaule des hommes, et ainsi les tuent. »

Il faut donc abandonner ce monde qui tue, ce monde désertique pour entrer dans le monde de l’abondance. Et quel est ce monde nouveau ?

« Le Fils unique l’a fait connaître. »

Le monde nouveau consiste à ne pas prendre Dieu pour se mettre à Sa place, comme le faisaient les pharisiens, mais à mettre Dieu à notre place pour le donner aux autres !

Ce monde nouveau, dit Saint Paul, est déjà en germe. Luc dira dans son Évangile qu’il est parmi nous, à cause de Jésus, en Jésus qui est à Lui seul le Prince et les frontières de ce Royaume nouveau.

Parce que Jésus est le premier à donner parfaitement Dieu, Son Père, aux hommes.

Jésus est le nouveau Moïse. Mais alors que Moïse ne donnait Dieu que de manière imparfaite, à travers les Tables de la Loi, voici, dira Jean dans le Prologue, que Jésus, Lui, nous Le fait connaître, Lui qui est plein de grâce et de vérité. Jésus est donc le premier à donner parfaitement Dieu aux hommes, définissant ainsi le monde nouveau, et l’inaugurant en même temps.

« Qui me voit, voit le Père. »

Il nous Le donne par Son corps, en Le manifestant : « Qui me voit, voit le Père. »

Il nous Le donne par Sa Parole, Son enseignement en Le révélant : « Dieu a tant aimé le monde, qu’Il a envoyé son Fils, non pas pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé », en définissant le mystère du Père par Sa relation d’Amour avec l’humanité.

Et enfin, Jésus nous donne Son Père, en agissant en Son Nom par Ses actes : « Je fais les œuvres que mon Père me demande d’accomplir. »

Voilà donc le Christ, qui inaugure le monde nouveau, en nous donnant Son Père. Et en donnant Dieu aux hommes par la triple donation du Corps, de la Parole, et finalement de l’Œuvre, Jésus s’inscrit en faux dans le monde des pharisiens et de leurs œuvres. Les œuvres de Jésus se situent à l’opposé des œuvres du monde ancien, comme nous le rappelle Paul dans la deuxième lecture.

« Pour une œuvre, vous voilà bouleversés. »

Souvenons-nous d’ailleurs de ce que dira Jésus aux pharisiens : « Pour une œuvre, vous voilà bouleversés. » Cette œuvre était la guérison d’un homme le jour du sabbat. Et bouleversés est à prendre au sens étymologique du mot, c’est-à-dire que le cœur du pharisien est retourné parce que le monde que Jésus propose est un monde à l’envers de sa conception pharisienne du monde. C’est le bouleversement des valeurs que certains vont accepter, tels Nicodème, que d’autres vont rejeter, et le Christ avec…

Le pharisien -c’est-à-dire le vieil homme, chacun et chacune d’entre nous dans sa part de vieil homme- prend Dieu, capte Dieu pour se mettre à Sa place et pour juger ! Ainsi agissent les pharisiens dans l’évangile de ce dimanche : « Maître, la loi dit… »

« Qui es-tu donc pour juger ton prochain ? »

Mais qui es-tu donc, dira Saint Jacques, pour juger ton prochain ? Es-tu toi le Juge ? Le monde que Jésus vient proposer, vient inaugurer, instaurer, malgré la mauvaise volonté des hommes, est un monde opposé à l’ancien car il ne consiste pas à prendre Dieu pour se mettre à Sa place, mais à mettre Dieu en nous pour qu’en nous Il vive et Se manifeste à l’autre…

Pour que, nous voyant, celui qui est en face de nous, soit en face de Dieu. En face d’un Dieu qui n’est aucunement surface, mais qui est tout en profondeur : « Je ne suis pas comme vous, je ne juge pas selon les apparences, dit Yahvé, mais je scrute les reins. » Quelle différence !

« Je ne suis pas venu pour juger mais pour sauver le monde. »

Jésus dans ce passage de la femme adultère, applique parfaitement cette définition du monde nouveau.

« Baissant les yeux »… Ce sémitisme signifie qu’Il ne veut pas avoir part au jugement des hommes sur cette femme. Jésus n’appartient pas au monde de ce jugement : « Je ne suis pas venu pour juger mais pour sauver le monde » dira-t-Il plus tard.

Le regard baissé signifie qu’Il scrute au contraire le cœur de cette femme à qui Il va donner Dieu ! Il va donner Dieu à cette femme pécheresse, à cette femme adultère qui représentait ce qu’il y avait de plus terrible pour la loi juive !

« Moi non plus je ne te condamne pas… », rappelant ainsi, comme à Nicodème, qu’Il n’est pas envoyé par le Père pour juger mais pour sauver le monde !  « Va et désormais ne pèche plus », sous-entendu, Je te donne la grâce de ne plus pécher…

« C’est pour mon peuple, pour celui que j’ai choisi… »

Voilà le bouleversement fondamental de l’évangile, de la Bonne Nouvelle, voilà la définition du monde nouveau, ce monde nouveau qui arrive par Jésus-Christ et en Lui.

Et ce monde nouveau arrive pour l’homme ! Dieu s’adresse à l’homme, Dieu se révèle à l’homme. Isaïe le dit dans sa prophétie : « C’est pour mon peuple…, pour celui que j’ai choisi … pour celui que j’ai formé… » : Israël, l’ecclésia de Dieu, la communauté du peuple juif, la communauté des enfants de Dieu, l’Église ! C’est pour l’Eglise qu’est créé, instauré, inauguré, le monde nouveau qui est le monde de Dieu Se donnant à Ses enfants !

L’Église doit donc, à la suite du Christ, non pas prendre Dieu pour se mettre à Sa place, (quelquefois, c’est la vision que nous avons de l’Église !), mais laisser Dieu venir en elle, en son cœur, pour qu’elle soit comme le Christ, le sacrement, le signe efficace du don de Dieu, de Sa Miséricorde infinie pour l’homme.

Et l’Eglise, c’est moi ! C’est chacun de nous ! Si je ne suis pas toute l’Église, toute l’Église est en moi. Donc, tout ce qui s’adresse à l’Église, s’adresse à chacun et chacune d’entre nous.

« Père, pardonne-leur ! »

Cette attitude de pardon que nous devons avoir à la suite du Christ n’est pas facile. Nous savons bien combien il est difficile de pardonner spontanément, quelquefois même impossible. Nous entendons dans le secret du confessionnal des aveux d’âmes qui depuis 30, 40, 50 ans entretiennent des rancunes et des haines. Il n’y a rien de plus humain, je ne dis pas normal, mais humain.

Le pardon est peut-être ce qu’il y a de plus difficile en la vie de l’homme.

Regardons Jésus. Oui, Il pardonne à la femme adultère, oui, Il remet les péchés du paralytique, mais Il va en payer le prix à la croix ! Il entre en Passion. Et c’est à la Croix, au suprême moment de la souffrance suprême, que Jésus pourra dire, en même temps qu’Il le vivra en plénitude : « Père, pardonne-leur ! »

Il englobe par là non seulement le soldat, le centurion, Ponce-Pilate, les pharisiens qui l’ont condamné, et tout le peuple, mais nous tous, pauvres pécheurs…

« Père, pardonne-leur… » Il faudra que Jésus attende la Croix pour délivrer l’Amour de Dieu dans le pardon. Ainsi Jésus ne se contente pas de dire à la femme : « Va désormais, ne pèche plus ! », ce qui serait un pardon insignifiant, sans prix à payer en compensation, mais Il paye le prix de ce pardon donné au nom du Père par Sa vie offerte à ce même Père.

Le chemin de Croix est à faire dans son cœur…

L’Église donc, à la suite du Christ, entre aujourd’hui en Passion. Non pas pour faire du dolorisme. Les croix des églises sont voilées d’ailleurs. Encore une fois, il ne s’agit pas d’aller se mettre à la place de Dieu, il s’agit de faire descendre la Croix dans notre cœur, c’est différent et c’est bien plus difficile.

Le véritable chemin de Croix n’est pas celui que l’on fait en tournant autour de l’Église, c’est celui que l’on fait dans son cœur. Quelle différence !

L’Eglise entre en Passion pour payer le prix du pardon qu’elle doit donner, à travers chacun de nous, aux hommes. Car quand je dis l’Église, c’est encore une fois chacun, chacune d’entre nous, c’est moi. Je dois payer d’avance pour pouvoir donner Dieu, le Dieu du pardon à mes frères. Que ce soit le pardon quotidien de la vie communautaire, familiale, conjugale ou que ce soit des pardons plus fondamentaux…

« Vivre pour la justice… »

Je dois me préparer dans ces quinze derniers jours qui me séparent de Pâques, à payer le prix, c’est-à-dire à offrir quelque chose pour recevoir de Dieu cette force qui me permettra de Le donner aux autres.

Il faut que, le Vendredi Saint, je donne quelque chose au Christ, quelque chose qui me coûte, pour recevoir du Christ la force de donner Dieu aux autres, avec Lui et en Lui.

C’est ce à quoi nous invite Saint Pierre lorsqu’il écrit : « C’est pour nous que le Christ a souffert ; il nous a marqué le chemin pour que nous allions sur ses traces. » Si par Ses blessures nous sommes guéris, par nos offrandes nous pourrons, à notre tour, participer à la guérison de ceux qui nous ont fait du tort, c’est à dire : « vivre pour la justice… »

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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