Lectio divina

Une lectio divina est un commentaire biblique sous le mode d’une lecture spirituelle et priante. C’est une méditation sur les textes de l’Écriture Sainte proposés par l’Église pour la Messe du jour.

« REJOUISSEZ-VOUS, EXULTEZ !… »

Lectio divina pour le 4ème Dimanche de Carême Année C
Jos. 5, 10…12 2Cor. 5, 17-21 Lc. 15, 1…32

 

La joie du chrétien chantée tout au long de ce 4ème Dimanche poursuit la logique du 3ème, puisque la semaine dernière, la liturgie nous donnait à contempler le Dieu source de toute bonté. Or le fruit de la contemplation divine, c’est la joie, celle-là même dans laquelle la liturgie de Lætare nous invite à entrer, comme fruit mérité de notre foi en la Miséricorde.

 « Réjouissez-vous, exultez… »

« Réjouissez-vous, exultez… » car « vous serez allaités, portés sur les hanches et cajolés sur les genoux… » L’introït, tiré du dernier chapitre d’Isaïe engage le croyant à se réjouir du soin maternel que le Seigneur réserve à Son peuple, un peuple qui aura porté du fruit (la foi vive en l’Amour divin), selon ce qu’enseigne la parabole des vignerons homicides.

« …Il en ira comme d’un homme que sa mère réconforte » poursuit le texte d’Isaïe. On frémit devant ce texte qui dévoile la délicatesse du Seigneur pour choisir les images qui nous touchent. Quel homme, quel que soit son âge, n’est pas bouleversé par l’attention de sa mère ?

Je repense à l’occasion au destin dramatique de la retraite de Russie de 1943 décrite avec tant de réalisme par Eugenio Corti. Dans une page tragique il fait mémoire d’un bersagliere éprouvé criant « Maman ! » avant de s’effondrer dans la neige… Ce cri d’un homme, redevenant l’enfant qu’il fut au moment de mourir, resta gravé à jamais dans son cœur…

« Augmente la foi du peuple pour qu’il se hâte avec amour… »

Le Carême n’a pas d’autre finalité que de nous répéter inlassablement le même message pour nous convaincre d’adhérer avec foi à son contenu. La Collecte nous le rappelle encore : « Dieu qui as réconcilié avec toi l’humanité en lui donnant ton propre Fils… » Et quand le texte latin précise, ‘admirablement’, il nous prépare à entendre l’Exultet qui chantera, au cours de la Vigile pascale, que si Dieu a créé l’univers « merveilleusement », Il l’a racheté « encore plus merveilleusement » !

Et c’est parce que Dieu nous aime inlassablement d’un amour infini qu’Il aspire à ce que nous répondions avec autant d’exclusive et d’énergie ! C’est pourquoi la Collecte poursuit : « augmente la foi du peuple pour qu’il se hâte avec amour… »

C’est avec célérité que nous devons marcher vers Pâques. C’est avec un cœur débordant d’amour que nous devons monter à Jérusalem, « dilatato corde » comme l’écrit si bien Saint Benoît dans sa Règle, pour nous joindre aux fêtes pascales dont la Liturgie fera mémoire, pour les faire nôtres, pour mourir à nos incurvations et ressusciter avec le Christ, nouvellement capables de mener notre vie avec Dieu, en Dieu et vers Lui.

« Par ton Verbe …»

En anticipant la lecture de Paul qui affirme que « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ », la Collecte résume la foi chrétienne en la médiation opérée par Celui qui est vrai Dieu et vrai homme. Dans le mystère de Son Incarnation le Verbe assume une humanité par laquelle Il posera l’acte d’Amour de la Croix, l’abandon de Sa vie parfaitement innocente.

On voit comme Noël et Pâques sont indissociables. Si le Christ n’est pas homme, Il ne peut s’offrir au nom de l’humanité. Pour sauver l’homme, le Christ a voulu l’assumer jusqu’au bout, jusque dans la mort. Sur la Croix s’achève doublement l’Incarnation : parce que le Christ assume l’homme en plénitude et parce que, dans cette assomption, Il laisse Sa vie !

La prière sur les offrandes viendra, en écho de la Collecte, rappeler que le Sacrifice que présente l’Église, c’est celui du Fils qui sauve notre vie. C’est pourquoi le cœur liturgique de chaque fidèle sera naturellement poussé à participer à l’Eucharistie en vérité et avec le respect infini qu’exige le mémorial d’un Acte aussi beau !

« Celui qui me mange vivra par moi. »

Le passage du livre de Josué nous explique de manière spirituelle que lorsque nous entrons par une foi vive, c’est à dire animée de charité, dans la terre promise, ce Royaume offre ses dons. La manne cesse pour laisser place aux fruits véritables. L’hostie sacrée se dilue en nous pour laisser place à son Fruit : l’Esprit de Jésus qu’elle contient et qu’elle nous donne en abondance : « Celui qui me mange vivra par moi. » Nous mangeons Celui qui nous assimile à Lui, comme les Hébreux sont nourris par cette terre qu’ils se sont appropriée, nous décrit Josué.

Ceci dévoile comment Dieu réconcilie le monde avec Lui : Il ne se contente pas d’envoyer une fois Son Fils ; Il Le laisse avec nous pour toujours et, nous Le donnant en nourriture, permet que nous vivions par Lui, par Son Esprit. C’est ce que dira Jésus avant de s’élever au Ciel : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. »

Quand Dieu donne, Il Se donne !

La parabole du fils prodigue vient en apothéose couronner cette révélation de la Tendresse du Père. Qui n’est pas ému par la si belle représentation qu’en a fait Rembrandt ? Le texte est si dense qu’il mériterait ou le silence ou des milliers de pages…

Je ne retiendrai ici qu’un point pour nous aider dans notre démarche quadragésimale de réconciliation. Car si le texte nous vante l’Amour du Père, il nous décrit également le mal du fils cadet, son péché.

Ce point nous est indiqué par Luc qui insère son récit entre deux phrases antithétiques. Au début, le fils cadet demande sa part d’héritage. A la fin, le Père rappelle au fils aîné que tout ce qui est à lui est au fils. Voilà le cœur de l’enseignement divin en même temps que la claire révélation de notre péché. Dieu veut nous donner tout de Lui (Son Fils), de Sa Vie (« Je donne ma Vie »), de Sa Joie (« C’est ma joie que je vous donne »), de Son Ciel (« Là où je serai, là aussi sera mon serviteur »).

L’Amour de Dieu est aussi total qu’infini et indivisible : quand Il donne, Il Se donne. Son désir est de Se donner pour donner tout à l’homme.

« Donne-moi ma part ! »

Depuis le péché d’Adam, l’homme n’est pas enclin à cette plénitude. Son regard égoïste sur un monde fini le pousse à la captation et à l’indépendance : « Donne-moi ma part. » Le fils veut du bien mais sans sa Source, sans Dieu. Il veut maîtriser son destin, son désir. En fait, il veut tout mais ne veut pas le Tout qui, pense-t-il, le limiterait dans ce désir.

Le péché se niche dans le désir d’un héritage partagé. Non au sens où l’on goûte ensemble en partageant avec Dieu ; mais au sens où l’on découpe pour s’en aller chacun de son côté.

Ce désir de prendre, de s’approprier, de se passer de Dieu pour être soi-même son dieu, ne s’applique pas qu’à nos actes scientifiques ou économiques. On retrouve cette attitude dans nos actes spirituels comme la prière et la charité. Dans la pratique des deux commandements, plus qu’ailleurs et de manière plus subtile, nous avons l’art de prendre (le temps ?) au Seigneur, de choisir (la consolation sensible ?), de nous approprier (nos talents ?), de refuser le don de Dieu par exemple en limitant l’effet fructueux des sacrements : nous pouvons vivre nos journées comme si nous ne recevions rien de l’Eucharistie, comme si elle était une simple manne, un placebo commode pour nos béances psychologiques…

Mgr Jean-Marie Le Gall

Aumônier catholique

Hôpital d’Instruction des Armées de Percy, Clamart.

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